Il y a des années maintenant que l'Occident fait pression sur la Chine pour qu'elle laisse flotter le yuan, plutôt que d'en fixer la valeur par rapport au dollar américain à un taux qui favorise ses exportations.

Pékin s'oppose à laisser du jour au lendemain les marchés déterminer la valeur de sa monnaie, qu'on appelle aussi le renminbi, car cela entraînerait des bouleversements structurels et des tensions sociales.

Les Chinois ont d'autres bons arguments pour cheminer à petits pas.

On leur dit qu'une monnaie trop faible génère des pressions inflationnistes dangereuses. En ferait foi le taux annuel d'inflation qui a atteint 5,1% en novembre. Une analyse plus fine montre cependant que cette poussée s'explique avant tout par un bond de 11,7% du prix des aliments, une composante très lourde du panier de provisions à partir duquel est bâti l'indice chinois des prix à la consommation. Hormis les aliments, le rythme d'inflation se situe plutôt à 1,9%, un taux que lui envient sûrement les États-Unis, dont l'inflation de base a avancé de 0,8% seulement en octobre.

Pékin préfère jusqu'ici essayer de contrôler certains prix, celui de la viande de porc en particulier.

On souligne que le surplus commercial chinois, qui serait le fruit d'une monnaie artificiellement trop faible, est à la base des déséquilibres mondiaux qui compliquent la reprise présente.

Une étude de l'Institut de la Banque asiatique de développement rapportée la semaine dernière dans The Wall Street Journal montre que l'argument est un peu court. Ce n'est pas seulement le taux de change qui est en cause, mais la conception des statistiques du commerce extérieur.

Selon les données officielles, tant américaines que chinoises, l'iPhone d'Apple aurait creusé à lui seul le déficit commercial américain avec la Chine de 1,9 milliard, en 2009.

En examinant la chaîne internationale d'approvisionnement et en calculant la valeur ajoutée de chaque pays, Yuqing Xing et Neal Detert ont mis en lumière ce que cache la statistique officielle. Sur un prix de gros de 178,96$US facturé par l'usine qui assemble et emballe le téléphone, la contribution chinoise est de 3,6% seulement, contre 34% pour la japonaise, 14% pour l'allemande et 13% pour la sud-coréenne.

Les grands gagnants de cette division internationale du travail sont Apple et ses actionnaires plutôt que la Chine.

La deuxième économie du monde est néanmoins fort consciente qu'elle doit sa croissance prodigieuse à son entrée dans l'Organisation mondiale du commerce, en 2001. Pékin n'a pas besoin des remontrances du G20 pour poursuivre la libéralisation de son économie et de sa monnaie.

Il lui faut cependant le temps de s'outiller, le temps de solidifier son système financier.

Et la Chine s'active, même si ce n'est pas au rythme souhaité par Washington.

Depuis quelque temps, des entreprises étrangères peuvent emprunter en yuans pour financer leurs activités dans l'empire du Milieu. Carterpillar, MacDonald, Galaxy Entertainment sont parmi les quelques sociétés qui ont émis des obligations libellées en yuans, sans compter le géant Rusai, premier producteur mondial d'aluminium.

«Dans quelques années, la Chine va s'être davantage libéralisée et des pays d'Asie vont être prêts à commercer en yuans et à en détenir», estime Frédéric Mayrand, premier vice-président, taux d'intérêt et changes de BNP Paribas Canada.

La semaine dernière, à la Bourse Micex de Moscou, on a commencé à échanger des roubles contre des yuans dans le but de favoriser les échanges commerciaux sans passer par le dollar américain.

Depuis juillet, Pékin autorise aussi que le yuan soit négocié librement à Hong-Kong, moyennant certaines conditions. L'expérience s'est avérée assez concluante pour que 70 000 entreprises soient désormais autorisées à en accumuler, à en prêter et à négocier des swaps de taux d'intérêt.

Les sommes échangées sont encore minimes: l'équivalent de quelques dizaines de millions de dollars par mois. La croissance est cependant exponentielle au point où les plus optimistes croient que le quart des importations chinoises pourraient être libellées en yuans plutôt qu'en dollars américains dans quelques années. La valeur annuelle des achats chinois à l'étranger s'élève à 2300 milliards de dollars.

Si la Chine procède lentement, c'est qu'elle craint la spéculation, estime François Barrière, vice-président développement des affaires marchés internationaux à la Banque Laurentienne. «C'est quand même une bonne nouvelle. On est peut-être à quelques années où les entreprises canadiennes pourront acheter des yuans.»

À terme, cela pourrait affaiblir quelque peu la valeur du billet vert, mais surtout renforcer celle du yuan par rapport à la plupart des devises.

En attendant, la domination écrasante du dollar américain dans les échanges commerciaux mondiaux n'est pas près d'être contestée.

Le billet vert est au coeur de plus de 40% des transactions internationales, même si le poids des États-Unis dans l'économie mondiale est d'un peu plus de 20%, rappelle M. Barrière. Ainsi, le pétrole se négocie en dollars, même quand les États-Unis ne sont ni acheteurs ni vendeurs.

L'entente sino-russe représente une petite brèche dans cette hégémonie. Petite, car le rouble et le yuan servent au règlement de moins de 1% des échanges commerciaux internationaux.

Bref, l'hégémonie du billet vert a de l'avenir.

Celle de l'économie américaine est cependant moins assurée, même si le Congrès américain vient d'approuver un plan de réduction et de reconduction de diminutions d'impôt de 858 milliards.

Comment les États-Unis vont-ils financer cet autre congé fiscal? En l'empruntant en bonne partie aux Chinois.

Ces derniers ne sont pas dupes.