L'actualité québécoise fait ressortir à quel point le crime organisé est bien immiscé dans certaines industries, celle du bâtiment et des travaux publics (BTP) en particulier.

L'essai percutant Mafia Inc. des collègues André Cédilot et André Noël lève aussi le voile sur les nombreuses imbrications du clan sicilien dans l'économie.

Faute d'enquête publique, il faudra peut-être se rabattre sur le travail de synthèse remarquable des chercheurs français Bertrand Monnet et Philippe Véry Les nouveaux pirates de l'entreprise. Mafias et terrorisme pour comprendre les stratégies et comportements de ces deux classes de criminels qui représentent une menace certaine pour les entreprises, de même que pour l'économie de marché dans son ensemble.

À la différence des organisations terroristes dont les activités criminelles servent avant tout un extrémisme idéologique ou religieux, le crime organisé est mû par un extrémisme économique, indiquent d'emblée les auteurs.

Ils analysent et documentent toutes les facettes de la recherche continue d'enrichissement par les différents types de mafias.

Si le pizzo ou racket de la protection est bien connu de par chez nous, on connaît moins les activités de parasitisme qui compromettent la réputation de grandes sociétés de transport. Monnet et Véry détaillent toutes les formes de prédation: vol de cargaisons, arraisonnage, rançonnage, fraude, imposition de certains fournisseurs ou sous-traitants, espionnage industriel au profit d'un concurrent mafieux, etc.

La corruption fait aussi partie de l'arsenal. Quand la carotte ne suffit pas, on passe alors à la bastonnade qui peut aller jusqu'à la mort.

Ils démontent la mécanique souvent sophistiquée du blanchiment et font ressortir que le crime organisé a besoin d'entreprises légales pour s'épanouir. On les trouve surtout dans les secteurs dont l'activité consomme beaucoup d'argent liquide: BTP, restauration, hôtellerie, divertissement.

Les auteurs pourfendent l'idée complaisante voulant qu'une entreprise légale dont les capitaux sont mafieux ferait moins de tort que les activités criminelles proprement dites. «Le mafieux entrepreneur reste mafieux: vendre des jouets avec sa main gauche ne l'empêche pas de vendre des enfants avec sa main droite.»

Le mafieux n'obéit pas à la règle du droit. Tous les moyens sont bons pour éliminer des concurrents afin de se constituer à terme une rente de monopole. Par exemple, dans la fourniture de main-d'oeuvre, en faisant main basse sur l'establishment d'un syndicat, comme cela s'est produit dans le transport du béton et des ordures à New York, ou de marchandises, en imposant un fournisseur, comme cela s'est fait à bien des endroits pour la mozzarella des pizzerias.

«Le contrôle criminel d'un marché a pour vocation de supprimer tous les concurrents de l'entreprise légale mafieuse, rappellent les auteurs. Lorsqu'une entreprise évolue sur un marché convoité par la mafia, elle est donc en danger de mort.»

Plusieurs pages instructives sont consacrées aux occasions criminelles créées par la dématérialisation de l'argent, grâce à l'informatique en général, à l'internet en particulier. Sans oublier l'ingénierie financière et les paradis fiscaux où s'enregistrent les fonds spéculatifs ou d'investissements dont certains sont de gigantesques blanchisseuses à l'affût d'acquisitions, tantôt amicales, tantôt hostiles, mais toujours dangereuses pour les entreprises sans lien avec le monde interlope.

Aux yeux des auteurs, les entreprises doivent se prémunir contre la malveillance en tous genres en ayant en leur sein une direction de la sûreté (à ne pas confondre avec la sécurité qui, en français, signifie faire contrepoids à un risque accidentel).

Cette direction pourrait ainsi être mise à contribution au moment d'une acquisition à l'étranger pour vérifier autant la respectabilité de son personnel, de sa clientèle ou de son réseau de fournisseurs.

À l'interne, une telle direction devrait se montrer vigilante dans la surveillance non seulement des bases de données, mais de l'ensemble des communications électroniques. On ne connaît pas toujours ce que peuvent en faire les destinataires alors que nous sommes seulement à l'aube de la cybercriminalité.

Les nouveaux pirates de l'entreprise. Mafias et terrorisme. Bertrand Monnet et Philippe Véry, Paris, CNRS Éditions, 245 pages.