Il a roulé sa bosse dans les grandes pharmas du monde entier. Puis a pris les rênes d'une boîte de biotechnologie québécoise qui a franchi les portes du marché américain. Hier, Yves Rosconi a cédé la direction de Theratechnologies en disant mission accomplie. Mais il planifie déjà la suite... qui pourrait en surprendre plus d'un.

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Le 4 janvier prochain, ne cherchez pas Yves Rosconi dans les bureaux montréalais de Theratechnologies. L'homme sera dans l'avion, sa femme à ses côtés et des guides de voyage sur les genoux.

«Sept semaines en Argentine et au Chili, avec un sac à dos, sans cellulaire ni ordinateur, salive déjà M. Rosconi. Je veux vraiment faire une coupure entre la vie d'avant et la vie d'après.»

La «vie d'avant», pour Yves Rosconi, c'est évidemment Theratechnologies, l'entreprise de biotechnologie dont il a cédé hier les rênes à John-Michel Huss. Pour M. Rosconi, cette vie a atteint son apogée le 11 novembre dernier, lorsque les autorités américaines ont approuvé le médicament sur lequel l'entreprise planchait depuis 15 ans.

L'affaire est loin d'être banale. En 10 ans, seulement trois entreprises de biotechnologie canadiennes ont réussi à percer le marché américain.

L'Egrifta de Theratechnologies est un médicament capable d'enrayer la répartition anormale des graisses qui touche certains patients atteints du VIH. Prochaine étape: lui ouvrir d'autres marchés sur la planète. Un défi qui se fera sans Yves Rosconi.

«Des médicaments, j'en ai mis une vingtaine en marché dans ma vie, dit celui qui a travaillé plus de 25 ans dans de grandes sociétés pharmaceutiques partout dans le monde avant de prendre la direction de Theratechnologies. Ce qu'ils vont vivre chez Thera, c'est important. Mais ça ne m'allume plus. Je l'ai déjà fait.»

À 57 ans, M. Rosconi cède donc sa place à un autre qui, comme lui il y a six ans, débarque tout droit des bureaux parisiens de Sanofi-Aventis. Que fera-t-il maintenant?

«Vous êtes bien assis sur votre chaise?» demande-t-il avant de répondre avec le débit rapide et la fougue qui le caractérisent.

Sa première mission ne surprendra aucunement ceux qui l'ont vu prêter sa voix à toute l'industrie des biotechnologies québécoises à titre de président du conseil de Bioquébec, l'organisme qui représente le secteur. Bien qu'il quitte son poste chez Bioquébec, Yves Rosconi veut encore contribuer à l'industrie en siégeant au conseil d'administration de petites entreprises. Et question de faire les choses comme il faut, il est même est allé suivre un cours sur la gouvernance donné par l'Université McGill et l'Université de Toronto.

«C'est fini le temps où tu amènes ton beau-frère dans ton conseil parce que c'est un bon chum», lance-t-il.

M. Rosconi siège déjà au conseil de la petite boîte Milestone Pharma et au conseil d'Otsuka, entreprise japonaise qui vient de s'établir à Montréal. Il pense dégoter deux autres sièges d'administrateur.

«Je veux aider les plus jeunes à naviguer dans cet environnement difficile. Je vois ça comme un rôle de mentorat», explique-t-il.

Ceux qui connaissent un peu l'énergique homme d'affaires ne peuvent s'empêcher de soulever une inquiétude. Blasé des grandes pharmas, Yves Rosconi était entré en tornade chez Theratechnologies comme en 2004 à une condition: qu'on lui donne carte blanche pour y chambouler la culture d'entreprise, qu'il trouvait «trop universitaire».

M. Rosconi avait sabré le portefeuille de produits pour n'en conserver que les plus prometteurs et avait averti les chercheurs que, désormais, ils auraient des comptes à rendre. Le coup de balai avait été si vigoureux que, trois mois après son arrivée, le quart des employés avait choisi de quitter l'entreprise.

Depuis son siège d'administrateur, celui qui a toujours aimé diriger son navire sera-t-il capable de voir quelqu'un d'autre à la barre?

«C'est la question qui tue, comme dirait l'autre, admet-il. Effectivement, je ne le sais pas.»

En parallèle, Yves Rosconi, pharmacien de formation, veut aussi s'impliquer dans l'organisme Pharmaciens sans frontières. Et cette fois, pas question de brasser de la paperasse.

«Je veux me relever les manches et aller sur le terrain. En Bosnie, en Haïti, partout où on voudra m'envoyer en mission», dit-il.

Yves Rosconi vient aussi de se joindre au comité scientifique d'un fonds de capital-risque dont le rôle est de miser sur les meilleures boîtes de biotechnologie. Et entre le golf, le ski et la raquette, il se promet aussi de réaliser un vieux rêve.

«Je veux voir ce que je peux faire avec du bois», dit-il, révélant qu'il se lance aussi tête baissée... dans l'ébénisterie.

Ralentir? «Je vais le faire un peu, parce que sans ça, je vais perdre ma femme! répond M. Rosconi. D'ailleurs, je n'ai pas dormi beaucoup depuis deux ans. Alors, pendant quelques mois, permettez-moi s'il vous plaît de dormir un peu. Mais ça va revenir, vous allez voir!»

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Prêt à y aller seul

Octobre 2008. Theratechnologies annonce que l'Egrifta, qui n'est alors pas encore approuvé par les autorités, sera distribué aux États-Unis par la multinationale EMD Serono s'il vient à percer le marché. Theratechnologie se négocie des redevances de 21% sur tous les produits vendus. À ce moment, les analystes applaudissent l'idée de confier la commercialisation à des spécialistes. Deux ans plus tard, toutefois, Yves Rosconi avoue qu'il aurait été prêt à foncer et vendre le produit sans partenaire. «Le commercial, on aurait pu le faire. Honnêtement, si j'avais été l'actionnaire unique, on n'aurait pas donné le partenariat», révèle-t-il, avouant qu'il trouve difficile de laisser le gros des ventes à son partenaire. «J'aurais pris un risque pour 75% de la valeur. Surtout que, moi, je suis un gars commercial», lance-t-il, avouant cependant qu'avec la structure de l'entreprise, l'affaire était peut-être impossible. «Pour faire ça, il aurait fallu que je retourne au marché pour aller chercher de l'argent. Et, en 2008, on était en pleine crise. Ce n'est pas évident que ça aurait marché.»

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Les gens d'abord

Yves Rosconi a-t-il gagné le gros lot en prenant la direction d'une entreprise qui avait développé une molécule gagnante? Non, répond le principal intéressé, qui demeure convaincu que ce sont les décisions d'affaires de son équipe davantage que la science qui ont permis à l'Egrifta d'atteindre la commercialisation. «C'est sûr qu'il faut que le produit ait un minimum de chances de succès. Mais j'y crois dur comme fer, même si ç'a l'air cliché: la première chose qui fait le succès, ce sont les gens», dit-il, expliquant qu'à son avis, le manque d'expérience des dirigeants représente justement l'un des gros problèmes des biotechs québécoises.