Des éditeurs québécois et internationaux craignent que la modernisation de la Loi sur le droit d'auteur par le gouvernement canadien ne mette en péril l'industrie du livre au pays. Le talon d'Achille de ce projet de loi: le numérique.

Le projet de loi C-32 vise à adapter l'application du droit d'auteur à la nouvelle réalité du numérique et de son partage effréné sur l'internet. Il propose notamment que les oeuvres numériques soient automatiquement considérées comme libres de droits, à moins d'indication contraire.

Selon l'Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), cette notion va à l'encontre de la pratique actuelle. Pis, elle contredit le droit international et des traités internationaux à cet égard signés par le Canada. «Les oeuvres sur internet qui ne déclarent pas être protégées peuvent être utilisées gratuitement dans le cadre de leçons non définies dans la loi, ce qui implique pas mal n'importe quoi. Donc, une oeuvre n'est plus protégée de facto (contre la copie numérique sans redevance)», explique Mathieu Masse Jolicoeur, responsable des communications de l'ANEL.

Les remontrances de ce regroupement d'une majorité d'éditeurs québécois ne seraient pas si graves si le marché du livre numérique n'avait pas pris un tel essor, ces derniers mois.

En deux ans, la commercialisation de liseuses numériques comme le Kindle, d'Amazon, et de librairies virtuelles comme iBooks, d'Apple, a fait bondir le numérique de zéro à tout près de 10% du marché du livre aux États-Unis. Malgré un retard dans l'adoption du livre numérique, le Québec suit aujourd'hui la même courbe d'adoption, selon Gilles Herman, directeur général des Éditions du Septentrion, à Québec. À titre comparatif, la musique numérique et le fichier MP3 ont mis pratiquement trois fois plus de temps à atteindre ce plateau.

La loi C-32 permettrait à ces consommateurs versés dans le numérique de numériser les oeuvres en leur possession à loisir, puis, à moins d'une indication contraire explicite, de copier cette version de façon pratiquement infinie. C'est un trou dans la loi qui fait craindre le pire aux éditeurs.

«Avant, le privilège du choix de format pour l'oeuvre était le privilège des producteurs», continue M. Masse Jolicoeur. «Avec le C-32, les copies seraient inépuisables et sans aucune rémunération.»

Les fournisseurs de services internet, la solution?

L'International Association of Scientific, Technical and Medical Publishers, ou STM, publie plus de 60% du contenu scientifique dans le monde. Elle aussi craint que la loi C-32 ne ruine la pratique de ses membres. La STM estime à 40 millions de dollars les sommes en jeu.

«Les modifications envisagées permettront que des copies d'oeuvres protégées puissent être diffusées en ligne par des distributeurs commerciaux, sans rémunération des détenteurs de droits», explique-t-elle dans un mémoire envoyé au ministre du Patrimoine, James Moore.

Dans ce concert de critiques, une solution semble émerger: impliquer les fournisseurs de services internet (FSI) dans le débat. La loi les dégage de toute responsabilité envers ce que leurs clients font avec les oeuvres numériques sur l'internet.

Michael Geist, titulaire de la chaire de recherche sur internet et le commerce électronique à l'Université d'Ottawa, et analyste sur le droit d'auteur numérique reconnu internationalement, le résume sur son blogue. «La loi canadienne devrait protéger explicitement les FSI, à condition qu'ils suivent un modèle d'avertissement et de pénalité équilibré entre les intérêts des utilisateurs et des créateurs de contenu», écrit-il.

L'ANEL semble d'accord. «Nulle part on ne les rend responsables. C'est la grande mesure absente de C-32.» De l'imposition d'une taxe à des mesures punitives, les éditeurs sont ouverts à tout ce qui peut les protéger de la menace du numérique.

Le fichier MP3 a fait considérablement chuter les ventes de musique. Les éditeurs aimeraient empêcher le projet de loi C-32 de laisser le livre numérique avoir un tel impact sur leur industrie.