Ils transforment le soleil en électricité, conçoivent des logiciels qu'ils vendent au monde entier, vont jusqu'à faire «pousser» des poissons dans le désert: les Israéliens inventent, brevettent et lancent des entreprises plus que quiconque sur la planète. Le Québec, qui traîne la patte en matière d'innovation, peut-il apprendre de l'État hébreu?

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Le thermomètre indique 39 degrés Celsius. Le paysage se résume à du sable parsemé d'arbustes desséchés. Au loin, l'air chauffé par le bitume miroite, donnant l'impression que la route s'apprête à plonger dans l'eau.

Le désert du Néguev, en Israël, est une terre hostile à toute forme de vie. Si bien qu'en arrivant au kibboutz de Mashabei Sade, on croit d'abord être victime de nouveaux mirages.

Au bout d'une rangée de palmiers et d'oliviers, on aperçoit des tuyaux qui surgissent du sol, projetant une eau brune dans des bassins. Tali Goldman y lance une poignée de nourriture. Des bouillons agitent l'eau, laissant voir des bêtes d'un demi-mètre de longueur.

«Des barramundis australiens», explique la jeune femme.

Des poissons en plein désert?

Après quelques jours à parcourir Israël, on en vient à se demander ce que ses habitants peuvent bien encore inventer.

Une question que se posent de plus en plus d'investisseurs, de multinationales et de gouvernements du monde entier, y compris au Québec.

C'est que les idées audacieuses sont partout dans l'air en Israël.

Plus haut taux de brevets par habitant au monde, plus grande concentration d'entreprises en démarrage de la planète, plus grande proportion du produit intérieur brut (PIB) investi en recherche et développement de tous les pays: Israël attire aussi, et de loin, plus de capital-risque par habitant que toutes les autres économies, y compris celle des États-Unis.

À Tel-Aviv, métropole bourdonnante, les boîtes de technologies de l'information et de biotechnologie pullulent. «Nous venons de vendre des logiciels à la plus grande banque d'Israël», dit Lanir Shacham, 35 ans, qui a lancé son entreprise techno.

Où est le secret? Samuel Appelbaum a sa petite idée là-dessus. Comme tout le monde en Israël, ce biologiste de l'Université Ben-Gourion du Néguev a une histoire à raconter.

La sienne débute dans les années 80, alors que ses voisins creusent le sol du désert pour trouver de l'eau potable. Quand ils tombent sur des réserves d'eau chaude et salée, l'enthousiasme est mitigé. Jusqu'à ce que M. Appelbaum propose de pomper l'eau à la surface pour y élever des poissons de mer.

«Les gens m'ont dit: quoi? Des poissons dans le désert? Mais c'est absurde!» raconte-t-il.

Aujourd'hui, une vingtaine de fermes piscicoles parsèment le désert du Néguev. On y élève autant des poissons d'aquarium qui sont exportés en Europe que des tilapias qui finissent en filets dans les restos de Tel-Aviv.

Mieux: on a découvert qu'une fois remplie d'excréments de poisson, l'eau est excellente pour irriguer et fertiliser. À proximité des bassins, on fait maintenant pousser olives, dates et tomates qu'on expédie jusqu'en Grèce et en Espagne.

«C'est simple: nous n'avons pas le choix, dit M. Appelbaum pour expliquer les idées qui déferlent sur son pays. Israël n'a pas beaucoup d'eau. Nous n'avons pas de mines. Même si nos voisins ont du pétrole, nous n'en avons pas. La seule ressource que nous avons, c'est nos cerveaux.»

Là où M. Appelbaum évoque la nécessité, d'autres parlent de goût du risque, de désir de contribuer à son pays, d'un climat social propice à l'entreprenariat.

«Il y une époque où les mères juives voulaient que leur fils devienne médecin ou avocat. Aujourd'hui, elles veulent qu'il soit entrepreneur en haute technologie», dit Eugene Kandel, directeur du Conseil national économique du bureau du premier ministre Benyamin Nétanyahou.

La riche diaspora juive? Nul doute qu'elle a fortement contribué à financer l'innovation israélienne et à lui ouvrir les marchés internationaux. «Les connections sont importantes pour faire voyager l'innovation, dit Eitan Yudilevich, directeur de BIRD, fondation qui met en lien des entreprises israéliennes et américaines. Mais elles n'expliquent pas l'innovation elle-même. Excusez-moi, mais dire que la diaspora est responsable de l'esprit d'innovation de ce pays, c'est n'importe quoi.»

Devant ce vent d'entrepreneuriat, le gouvernement israélien a accouché d'initiatives-clés qui ont permis de l'encadrer et de le faire fleurir (voir la suite de notre dossier demain). Attirées autant par les mesures d'encouragement que le talent et les idées, les multinationales sont rapidement débarquées, amenant avec elles l'argent, les réseaux et l'expertise.

Aujourd'hui, dans leurs bureaux vitrés de Tel-Aviv avec vue sur la Méditerranée, une armée de financiers mise des millions de dollars, souvent étrangers, sur les entreprises en démarrage les plus prometteuses du pays. Leur rêve: les voir percer les marchés mondiaux... et faire un coup d'argent par la bande.

«De l'idée initiale à la formation d'une entreprise qui vend pour 10 millions de dollars par année, la machine est très bien huilée», se félicite Eugene Kandel, du gouvernement.

Avec Silicon Valley ou Bangalore, en Inde, Israël est l'une des rares régions du monde à avoir accouché d'un véritable écosystème d'innovation. Sa progression est faramineuse. Entre 2000 et 2005, les investissements étrangers ont triplé en Israël; la proportion du capital-risque international du pays a doublé.

Aujourd'hui, compte tenu de sa taille, Israël est tout simplement la machine à inventer la plus efficace de la planète.