Les stimuli fiscaux arrivent à terme, les entreprises parachèvent leur restockage, mais la consommation, la construction et le commerce ne paraissent plus ou pas encore en mesure de prendre le relais. La Presse a posé cinq questions prospectives à sept économistes en chef d'institutions financières canadiennes.

1- L'économie américaine va-t-elle rechuter en décroissance?

Sherry Cooper : Une rechute en peu probable, mais la croissance restera sous les 2% en deuxième moitié d'année et s'élèvera à seulement 2,2% en 2011. C'est bien plus faible que durant les six premiers mois de la reprise et présagent d'une baisse très lente du chômage.

Craig Alexander : Les chances d'une rechute sont d'une sur trois. Il y a plusieurs embûches, mais le scénario le plus probable est que la reprise américaine va se poursuivre avec un taux de croissance lente de 1,5% à 2% au cours de la prochaine année.

François Dupuis : Les statistiques économiques publiées au cours des derniers mois confirment la fragilité de la reprise économique, particulièrement aux États-Unis. Trop de déséquilibres structurels demeurent présents pour permettre une croissance rapide et une nette amélioration de l'emploi. Par conséquent, la croissance demeurera très modeste au cours des prochains trimestres, et la probabilité que l'économie de nos voisins du Sud rechute en récession est non négligeable, à environ 33 %.

Carlos Leitao : Nous ne le pensons pas. Cette année, la croissance du PIB réel devrait atteindre 2,7% et ralentir à 2,4% en 2011. Une rechute exigerait un choc exogène. Les récessions n'arrivent pas «spontanément». En fait, lors d'une reprise, la croissance ralentit typiquement après une poussée d'activité. Cette fois-ci, le problème, c'est que la poussée initiale a été plutôt modeste et que, dorénavant, la demande intérieure sera entravée par la grande nécessité de rétablir l'épargne.

Stéfane Marion : Nous anticipons plutôt un passage à vide au deuxième semestre, avec une croissance autour de 2% (le risque de rechute est pour sa part estimé à 25%). La politique budgétaire est une des grandes sources d'incertitude. Le sort des réductions d'impôt de l'ère Bush, qui doivent expirer à la fin de cette année, n'est pas encore connu. L'administration permettra-t-elle leur reconduction, ce qui aiderait à préserver le revenu disponible des ménages? Modifiera-t-elle ces réductions ou les laissera-t-elle expirer et par ricochet, laissera-t-elle remonter les impôts pour tous les contribuables ? À quatre mois de la fin de l'année, beaucoup de ménages américains ne savent pas à quel point leur revenu disponible sera affecté. Le Congressional Budget Office estime que, si les mesures expirent comme prévu, l'augmentation globale de la ponction fiscale en 2011 sera de $250 milliards, soit 1.7% du PIB. Or, l'économie américaine est encore trop faible pour absorber un tel choc.  D'après nos prévisions actuelles, l'essentiel des réductions d'impôt seront maintenues pour deux à trois ans, mais ne seront pas rendues permanentes.

Avery Shenfeld: Une replongée en récession est toujours évitable, mais la croissance américaine sera de moins de 2% en 2011. C'est trop faible pour diminuer le taux de chômage. Le secteur privé n'est tout simplement pas prêt pour prendre le relai des plans massifs de relance qui tirent à leur fin.

Craig Wright : Non. Nous pensons que l'économie américaine est en modeste reprise, compte tenu de l'amélioration des conditions financières, d'une augmentation de l'emploi, des faibles taux d'intérêt et du soutien fiscal. Donc, nous ne sommes pas dans le camp de la rechute même si une croissance molle prête flanc à une rechute advenant un choc ou des politiques mal aiguillées.

2- La Réserve fédérale doit-elle lancer un deuxième plan d'allégement quantitatif (AQ). Si oui, de quelle envergure?

S.C. La Fed ne montera pas son taux d'ici à ce que 2011 soit bien avancée et encore. Elle va sans doute relancer un AQ. Elle n'est pas prête à réduire les liquidités de sitôt, mais il n'est pas clair qu'un afflux de réserves va aider les ménages et les entreprises à souffler. La Fed va continuer d'aider au financement du déficit américain en achetant des Treasuries.

C.A. Il ne devrait pas y avoir davantage d'AQ. Les liquidités sont déjà abondantes. Il faut plutôt améliorer les flux de crédit et cela se fait très lentement. Petit à petit, la reprise américaine va mieux s'enraciner. Cependant, le taux de chômage devrait persister autour de 9,5%. La Fed subira davantage de pression pour en faire plus. L'AQ demeure donc une réelle possibilité.

F.D. La Fed a clairement indiqué qu'elle est prête à mettre en place de nouvelles mesures stimulatrices, si cela devient nécessaire. Toutefois, elle devrait attendre des signes plus clairs de ralentissement ou de désinflation plus marquée, voire de déflation avant d'intervenir. Pour être efficace, un nouveau programme d'assouplissement quantitatif devrait être massif, de l'ordre d'au moins 1 000 G$ US.

C.L. Je ne pense que ce serait très efficace. Cela dit, la Fed se dirige clairement dans cette voie. D'ici décembre 2010 ou janvier 2011 au plus tard,  il y aura une autre ronde d'AQ. Cet assouplissement monétaire additionnel ne peut pas stimuler l'emploi par lui-même. Pour ce faire, il faut qu'il soit accompagné d'un allégement fiscal supplémentaire, en particulier de réductions d'impôt pour la PME et d'une forme d'allégement de crédit surtout destiné à la PME.

S.M. Seulement si la rechute se concrétise. Nous restons d'avis qu'un plan de relance budgétaire intégrant un programme financier à long terme crédible représente le moyen le plus efficace de parer aux difficultés économiques de l'heure.

A.S. Le taux d'inflation sera sous la cible implicite de la Fed jusqu'en 2012, selon ses propres prévisions. Elle devrait quand même envisager un AQ pour faire baisser les taux d'intérêt réels, affaiblir le billet vert et s'assurer que les attentes inflationnistes demeurent positives. La leçon des années 90 au Japon est qu'il est dangereux de laisser s'enraciner des attentes de baisses de prix.

C.W. Une modeste reprise et une inflation stable suggèrent qu'une deuxième ronde d'AQ n'est pas requise. Jusqu'à quel point serait-t-elle efficace demeure une question sujette à débat puisque la première ronde n'a eu qu'un impact modeste sur les taux d'intérêt tout en émoussant le potentiel d'une autre. Toutefois, la Fed n'écarte aucune option. Si la croissance et l'inflation devaient surprendre à la baisse, elle pourrait considérer n'avoir guère d'autre option.

3- L'économie canadienne est-elle aussi solide qu'on le croit?

S.C. Les dépenses de consommation seront moins fortes qu'au début de la reprise, mais nous prévoyons que leur croissance sera tout juste sous les 3% d'ici la fin de l'année et de 3,1% en 2011. La croissance du PIB ralentit ici aussi et sera à peine plus vigoureuse qu'aux États-Unis à 2,5% en 2011.

C.A. L'économie canadienne a connu une reprise vigoureuse. Elle a déjà récupéré quasi toute la production et les emplois perdus durant la récession. Désormais, cependant, le rythme de croissance sera plus modéré et guère différent de celui des États-Unis, aux environs de 2%. La croissance des exportations sera entravée par une demande américaine modeste et un huard fort. La croissance de la demande intérieure sera limitée par le ralentissement de l'immobilier et l'endettement élevé des ménages.

F.D. L'économie canadienne demeure nettement plus saine, profitant entre autres d'un marché de l'emploi qui a déjà effacé toutes les pertes encourues durant la récession et d'une demande intérieure qui, malgré certains signes de ralentissement, demeure assez robuste. Le secteur extérieur apparaît, par contre, comme son point faible et un retour en récession aux États-Unis aurait certainement des conséquences très sérieuses au pays..

C.L. L'économie canadienne est moins solide qu'elle ne le paraît. La demande intérieure ralentit à mesure que le boom de l'habitation s'attiédit. Cela n'est pas une mauvaise chose! En outre, on s'attend à un ralentissement des exportations. Nous avons peu modifié nos prévisions. Nous prévoyons désormais une croissance du PIB réelle de 2,6% cette année et de 2,4% seulement en 201 (2,3% au Québec).

S.M. Bien que le secteur des exportations demeure toujours sous pression, l'économie domestique se porte plutôt bien. Par-contre, cela se fait au détriment d'un endettement plus grand des ménages qui rend l'économie vulnérable à une détérioration des bilans dans un scénario de hausse rapide des taux d'intérêt et/ou de rechute de l'économie mondiale. Heureusement, nous anticipons une croissance de l'économie mondiale de plus de 3.5% en 2011 et d'autour de 2.0% au Canada et un rehaussement modeste des taux d'intérêt.

A.S. Les Canadiens commencent déjà à se rendre compte que la première poussée de croissance en sortie de récession était beaucoup plus forte que ce que nous vivons maintenant. L'économie canadienne n'est pas immunisée contre les effets d'une reprise mondiale plus lente que d'habitude. Elle va aussi sentir l'effet du ralentissement de l'habitation et de l'austérité fiscale.

C.W. La plupart des indices de confiance suggèrent que bien peu de gens croient que l'économie est robuste. Chez les optimistes,  l'économie et l'emploi ont retrouvé leur taille d'avant la récession, le taux de chômage diminue et les entreprises investissent de nouveau. Cependant, un nuage d'incertitude en provenance des États-Unis mine la confiance. Tant qu'il ne sera pas dissipé, la reprise sera décevante.

4- La Banque du Canada doit-elle poursuivre la normalisation de son taux cible? Si oui, jusqu'où?

S.C. La Banque du Canada reste consciente des risques à la baisse. Elle pourrait faire une pause, lors de sa prochaine annonce statutaire. Cependant, le faible écart de production et le robuste marché du travail commandent la normalisation du taux cible. Il devrait s'établir à 1,25% en fin d'année et à 2,25%, fin 2011. Le dollar canadien va continuer de se négocier aux niveaux actuels et se rapprocher de la parité l'an prochain.

C.A. La croissance sera modérée, l'inflation restera contenue et l'économie ne fonctionnera pas à son plein potentiel avant le milieu de 2012. La Banque du Canada peut adopter une démarche graduelle pour rééquilibrer sa politique monétaire. D'ici la fin de 2011, je m'attends à un taux cible de 2%.

F.D. L'incertitude sur le plan international devrait inciter la Banque du Canada à faire preuve de prudence et à entamer, très prochainement, une période de pause de son présent resserrement monétaire.

C.L. Dans un tel environnement, la Banque du Canada va sans aucun doute interrompre la normalisation de son taux directeur en octobre et décembre. Cela dit, nous prévoyons toujours que son taux cible s'établira à 1,5% au milieu de 2011. Un taux plus élevé exigera de meilleures perspectives américaines, ce qui paraît peu probable avant l'automne 2011 au plus tôt.

S.M. La première étape est de ramener les taux en ligne avec l'inflation de base d'ici la fin de l'année: à 1.50%. Après cela, ca dépendra du taux de change et de la performance de l'économie américaine.

A.S. Comme la croissance ralentit et que l'inflation est maîtrisée, la Banque du Canada devrait faire une pause et laisser son taux cible à 1% jusqu'au printemps. Même en 2011, la démarche de la Banque devrait être graduelle et ne pas dépasser 1,75%, en fin d'année. Aller trop haut alors que la Fed ne bougera pas risque de faire grimper le huard à des niveaux qui freineraient trop la croissance de nos exportations.

C.W. La Banque du Canada devrait continuer de normaliser les taux d'intérêt. S'il n'existe aucun consensus sur le niveau normal des gtaux d'intérêt, il en existe un selon lequel c'est plus élevé que le taux cible de 1% actuel. On ne verra sans doute pas de nouvelle hausse cette année, compte tenu du récent ralentissement observé. En 2011, quand la reprise sera plus convaincante, la Banque va se remettre à hausser les taux.

5- Washington et Ottawa doivent-ils prolonger leurs stimuli malgré leurs déficits?

S.C. En matière fiscale, il existe des considérations d'ordre politique. surtout aux États-Unis à l'approche des élections. Washington devrait stimuler davantage et reconduire temporairement les baisses d'impôt de Bush. Le bilan fiscal canadien est parmi les plus solides du monde avancé, alors il n'y a pas urgence de passer en mode de sévère austérité. On verra sans doute un resserrement budgétaire à compter du deuxième ou troisième trimestre de 2011.

C.A. Les stimuli fiscaux annoncés doivent être menés à terme. Aux États-Unis, il semble que d'autres stimuli soient à venir. Cela va donner un élan à court terme, mais représenter un coût par la suite. Les États-Unis devront un jour s'attaquer à leur déficit fiscal et leur dette grandissante. Au Canada, d'autres stimuli ne sont pas nécessaires. Le gouvernement fédéral adopte une approche prudente en fixant un retour à l'équilibre budgétaire avec un échéancier raisonnable.

F.D. Étant donné la situation des finances publiques et le contexte politique, il sera difficile pour Washington et Ottawa d'annoncer de nouveaux plans importants de stimulation, d'autant plus qu'il reste des montants significatifs à dépenser des programmes mis en place pendant la dernière récession. Certaines mesures ciblées visant, par exemple, à faciliter le crédit aux petites et moyennes entreprises et à stimuler la création d'emplois seraient toutefois justifiables aux États-Unis. Il faudrait éviter cependant des programmes qui ralentiraient les ajustements nécessaires, par exemple en stimulant artificiellement le marché de l'habitation américain.

C.L. Bonne question. Je crois que les deux pays devraient maintenir une politique fiscale expansionniste (Le canada dispose d'une plus grande marge de manoeuvre). Cependant, cela peut s'avérer politiquement très difficile à réaliser (surtout aux Etats-Unis). Par conséquent, les deux gouvernements vont aborder cet enjeu avec beaucoup de prudence, avec des mesures ciblées plutôt que de nouveaux grands programmes ou des réductions d'impôt généralisées.

S.M. Pour ce qui est de Washington, nous sommes même d'avis qu'un second round de stimuli est souhaitable étant donné le manque de traction du côté des multiplicateurs monétaires (prêts bancaires). L'important c'est de mettre en place un programme qui contient un plan crédible de retour à l'équilibre budgétaire. Pour ce qui est d'Ottawa, à part un possible prolongement de la période pour la mise en place des infrastructures, un nouveau stimulus n'est pas nécessaire.

A.S. Le Canada devrait mettre fin à ses stimuli selon le calendrier prévu. Face à un taux de chômage bien plus élevé, les États-Unis ont besoin de prolonger certaines mesures de relance et adopter un plan pour s'attaquer au déficit à moyen terme.

C.W. La politique fiscale a assuré l'économie mondiale durant sa période de crise. On s'attend à ce qu'elle soutienne la croissance encore cette année. À mesure que la reprise s'enracine, le besoin d'un tel soutien va disparaître. La priorité deviendra la mise en place d'une stratégie de sortie fiscale convaincante. Les autorités comprennent bien les dangers de serrer la vis prématurément alors que l'économie est vulnérable. La patience va sans doute prévaloir.

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QUI SONT-ILS

Sherry Cooper

Économiste en chef

BMO marchés des capitaux

Craig Alexander

Économiste en chef

Groupe financier Banque TD

François Dupuis

Économiste en chef

Mouvement Desjardins

Carlos Leitao

Économiste en chef

Valeurs mobilières Banque Laurentienne

Stéfane Marion

Économiste en chef

Banque Nationale Groupe financier

Avery Shenfeld

Économiste en chef

CIBC

Craig Wright

Économiste en chef

RBC Groupe financier