Dans sa phase initiale, le nouveau cycle de l'économie mondialisée a surpris par sa vigueur. Depuis quelques mois cependant, l'euphorie cède le pas à un optimisme modéré, voire à des inquiétudes grandissantes. Vers quoi les États-Unis et le Canada se dirigent-ils? Tentons d'y voir clair à l'aide des données les plus récentes et les perspectives des économistes en chef de sept grandes institutions financières au Canada.

On le saura jeudi, mais il y a fort à parier que l'économie canadienne a au mieux stagné en juillet. Si la chose s'avère, il s'agirait d'une rapide décélération, d'une douche froide pour les éternels optimistes.

Les Canadiens et les Américains commencent de plus en plus à se sentir comme à un lendemain de veille, ils doivent surtout se faire à l'idée que la croissance n'aura plus le rythme d'autrefois, au cours des prochaines années.

On estimait le potentiel des économies canadienne et américaine à un peu plus de 3% par année, au tournant du siècle. La faible productivité canadienne a amené la Banque du Canada à réviser le taux de croissance optimal sans inflation à moins de 2,5%, puis à moins de 2%, l'an dernier et cette année.

Quant à l'américaine, le Congressional Budget Office l'estime à 2% seulement pour toute la décennie, compte tenu des efforts que les Américains devront consentir au rétablissement de leurs finances publiques.

Des deux côtés de la frontière, il faut apprendre à vivre avec une croissance faible et un taux de chômage plus élevé que durant le cycle précédent.

Les nuances de la grisaille

Certes, notre économie fait encore envie en Occident, car c'est l'une des rares à être déjà entrée en phase d'expansion, après une reprise des plus vigoureuses, et à avoir récupéré l'ensemble des emplois que la récession avait détruits.

C'est l'un des rares endroits (avec l'Australie et la Norvège) où la Banque centrale a commencé à normaliser ses taux directeurs, abaissés à des creux historiques pour ranimer le crédit.

À l'opposé, on ne s'attend pas à ce que la première économie du monde entre en expansion avant le deuxième semestre de 2011. Cela pourrait même être en fin d'année seulement, si devait persister la mollesse actuelle de la reprise américaine. Quant aux emplois, il en manque encore 7,3 millions pour retrouver le niveau d'avant-récession. Au rythme présent où les entreprises embauchent, il faudra peut-être attendre jusqu'en 2013.

Cette reprise américaine avec création d'emplois anémique pousse les prix à la baisse, la concurrence entre travailleurs les incitant à renoncer à des hausses de salaire. L'inflation est si faible que la Réserve fédérale fait tout son possible afin d'éviter l'enracinement d'attentes déflationnistes. Pour stimuler le crédit, elle entend garder son taux directeur tout près de 0%, fixé là en décembre 2008, pour une durée prolongée que beaucoup de prévisionnistes voient perdurer jusqu'en 2012.

Moins touché en apparence

La récession a moins touché l'économie canadienne que l'américaine Quant à la décroissance et au chômage. En ce qui concerne les prix, c'est le Canada qui a surtout écopé. Exprimé en dollars courants, le PIB a reculé de 4,5% au Canada, mais de 1,7% seulement aux États-Unis en 2009. C'est le pouvoir d'achat des ménages et des entreprises qui a été touché pendant quelques mois.

En termes réels (sans tenir compte des effets de prix), l'économie américaine fait moins bien que la canadienne depuis 2006.

Se relever de la récession a été plus facile chez nous puisque le bilan financier des ménages n'a pas été affligé par la forte dépréciation de leurs maisons. Les dépenses de consommation n'ont que peu reculé durant la récession et ont été très robustes durant la phase de reprise.

Depuis quelques mois, elles stagnent. Elles ont même diminué en juillet, peut-être à cause de l'entrée en vigueur ou de l'augmentation de la taxe de vente harmonisée dans trois provinces.

Les ménages canadiens n'ont jamais été aussi endettés. Forcément, ils devront moins consommer au cours des mois à venir. «Les consommateurs canadiens ne pourront pas être indéfiniment les moteurs de l'économie comme ils l'ont été au cours des dernières années», notait cette semaine, Maurice N. Marchon, professeur titulaire à HEC Montréal qui vient de publier la mouture annuelle de ses Perspectives économiques nord-américaines dans un contexte international.

Comment l'expansion se nourrira-t-elle?

Ce n'est pas non plus la construction, autre moteur de croissance et de création d'emploi, qui prendra le relais. Les mises en chantier ont dépassé en nombre la formation de ménages en début d'année. Depuis, c'est le retour du balancier, malgré la faiblesse exceptionnelle des taux hypothécaires.

Dans le numéro de juillet de son Rapport sur la politique monétaire, la Banque du Canada tablait beaucoup sur les investissements des entreprises pour prendre le relais. Elles ont tardé à profiter des facilités de crédit et de la force de notre monnaie. Elles ont mis les bouchées doubles au printemps. Vont-elles persister, si les perspectives de vente diminuent à mesure que s'émousse la confiance?

Si oui, ce sera pour rattraper des retards de productivité. À terme, ce sera sans doute pour le mieux, mais c'est peu porteur de nouveaux emplois dans l'immédiat.

Surtout que le présent cycle se caractérise par une faiblesse des exportations, en particulier vers les États-Unis qui en absorbent pourtant les trois quarts.

Vrai, comme le signalait Matthieu Arseneau, de la Banque Nationale cette semaine, les exportations pèsent moins dans le PIB canadien qu'au début du siècle: de 46% en 2000, elles ont fondu à 30%. À ce niveau, c'est quand même deux fois plus que ce qu'elles représentent aux États-Unis. Le commerce extérieur est par conséquent un vecteur de croissance plus puissant de ce côté-ci de la frontière. S'il faiblit, notre économie pâtit davantage.