À coups de créativité et de crédits d'impôt, le Québec est devenu l'un des leaders mondiaux des jeux vidéo. Hormis la Colombie-Britannique, aucune autre région du monde ne compte autant d'artisans de jeux vidéo en proportion de sa population. En dépit de ses succès, l'industrie québécoise est à la croisée des chemins. Le gouvernement veut attirer d'autres studios à Montréal, mais ceux déjà en place sont sceptiques et craignent une expansion trop rapide. Portrait d'une industrie qui ne peut s'endormir sur ses lauriers.

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«Tu fais quoi d'autre?»

Quand Rémi Racine a fondé son entreprise de jeux vidéo en 1992, ce militant conservateur a suscité beaucoup d'étonnement chez certains ministres québécois du gouvernement Mulroney. «L'un d'eux me demandait toujours par après ce que je faisais d'autre dans la vie», dit Rémi Racine, sourire en coin.

Le président d'Artificial Mind and Mouvement (A2 M pour les habitués) n'a jamais tenu rigueur à ses connaissances politiques de leur méconnaissance du jeu vidéo. «À l'époque, l'industrie des jeux vidéo était quasiment perçue comme une farce au Québec, dit Rémi Racine. On m'a pris comme un vrai entrepreneur quand j'ai atteint le seuil des 200 employés. Avant ça, je n'étais pas pris au sérieux au Québec.»

Aujourd'hui, le pionnier des patrons de studios de jeux vidéo du Québec n'a plus ce problème: son industrie n'a pas seulement acquis ses lettres de noblesse, elle est devenue l'un des fleurons de l'économie québécoise.

De toutes les régions du monde, seule la Colombie-Britannique compte une plus grande concentration d'artisans du jeu vidéo que le Québec. Par habitant, le Québec compte davantage d'artisans du jeu vidéo que la Californie, l'État de Washington, la Corée du Sud et le Japon. En nombre absolu, le Québec occupe le sixième rang mondial en matière d'emplois dans le jeu vidéo, selon une étude de l'Alliance numérique, une association regroupant 20 des 36 studios québécois.

Montréal se compare avantageusement à toutes les grandes plaques tournantes du jeu vidéo. Ses artisans parlent même du plus grand pôle de jeux vidéo au monde. Devant Seattle, dont les chiffres d'emploi sont gonflés par les studios de tests de Nintendo (Play Station) et Microsoft (X-Box). Devant la Californie, dont les studios sont éparpillés entre San Francisco, Los Angeles et San Diego.

«À Montréal, nous pouvons luncher ensemble le midi tandis qu'en Californie, ils doivent s'organiser une conférence pour se voir», dit Rémi Racine, président d'A2 M, plus important studio indépendant au pays avec 400 employés. Devant Vancouver, qui devance pourtant Montréal en matière de concentration d'employés. «L'an dernier, Vancouver a perdu 600 emplois. Montréal, pas un seul», fait valoir Stéphane D'Astous, directeur du studio d'Eidos à Montréal.

Comment Montréal est-il devenu l'une des plaques tournantes du jeu vidéo? En attirant avec ses crédits d'impôt l'entreprise française Ubisoft en 1997. Le plan original: de 500 à 800 emplois sur 10 ans. Aujourd'hui, Ubisoft Montréal, qui a pignon sur rue dans le quartier branché du Mile End, compte 2100 employés. Outre peut-être les studios japonais dont les chiffres d'emploi sont top secret, c'est le plus grand studio de jeu vidéo au monde.

«Un des éléments fondamentaux qui nous ont fait rester, c'est le grand talent créatif qu'on a trouvé à Montréal, dit Yannis Mallat, PDG d'Ubisoft Montréal depuis 2006. Sans ce talent, je ne pense pas que l'industrie québécoise se serait développée ainsi.»

Coup de chance ou savant calcul, le Québec a su être opportuniste dans le dossier des jeux vidéo. «La tendance était à la construction de nouveaux studios à l'époque et on cherchait à diversifier des centres de production dans des endroits moins chers à opérer que la Californie ou Londres», dit André Lauzon, producteur exécutif d'EA Mobile.

«Ubisoft a été la carte de visite de Montréal. C'est la preuve qu'un studio peut devenir le navire amiral de toute une industrie», dit Stéphane D'Astous, ancien d'Ubisoft qui dirige aujourd'hui le studio montréalais d'Eidos, une entreprise japonaise à Montréal depuis 2007.

L'ancien premier ministre Bernard Landry, qui avait convaincu Ubisoft de s'installer à Montréal en 1997, est fier de son coup. «Quand je suis allé rencontrer les frères Guillemot à Paris, ils connaissaient à peine le Québec, dit M. Landry. Je ne suis pas sûr qu'ils auraient pu le situer sur une carte...»

Dans le dossier Ubisoft, le Québec avait battu le Nouveau-Brunswick au fil d'arrivée. Pourtant, Bernard Landry ne se rappelle pas avoir reçu beaucoup de félicitations à l'Assemblée nationale à l'époque. «L'opposition me traitait presque de communiste, dit-il. Aujourd'hui, quand je vois un ministre libéral annoncer de nouveaux emplois grâce aux mêmes crédits d'impôt, j'ai un sourire en coin...»

LES PRINCIPAUX ACTEURS (photo ci-haut)

Miguel Caron

38 ans

Funcom (Norvège)

Studio de 112 employés

À Montréal depuis 2009

Spécialité: Jeu en ligne multijoueurs (MMO)

«Meilleur vendeur»: Mises à jour sur Age of Conan

125 millions US

André Lauzon

52 ans

Electronic Arts (Californie)

Studio de 800 employés

À Montréal depuis 2004

Spécialité: Jeux téléchargeables sur téléphones portables

«Meilleur vendeur»: Tetris

100 millions de téléchargements

Mario Poulin

38 ans

Gameloft (France)

Studio de 300 personnes

À Montréal depuis 1999

Spécialité: Jeux téléchargeables sur consoles et téléphones portables

«Meilleur vendeur»: Asphalt

10 millions d'unités

Martin Carrier

40 ans

Warner Brothers Games (New York)

Studio de 300 employés en 2015

À Montréal depuis mars 2010

Spécialité: Jeux inspirés des films de Warner Brothers

Aucun jeu lancé depuis la création du studio

Rémi Racine

46 ans

Artificial Mind and Movement (A2M) (Montréal)

Studio de 400 employés

Au Québec depuis 1992

Spécialité: Jeux pour enfants

«Meilleur vendeur»: High School Musical

6,5 millions d'unités

Stéphane D'Astous

46 ans

Eidos (Japon)

Studio de 320 employés

À Montréal depuis 2007

Spécialité: Jeux d'aventure et de rôles à grand déploiement

Aucun jeu lancé depuis la création du studio

Yannis Mallat

36 ans

Ubisoft (France)

Studio de 2100 employés

À Montréal depuis 1997

Spécialité: Jeux à grand déploiement

«Meilleur vendeur»: Assassin's Creed I

10 millions d'unités