La récession, dont le Canada est sorti mais dont les ravages persistent aux États-Unis, a tiré sa source dans l'excès de crédit et le laxisme des institutions financières des États-Unis et de l'Union européenne.

Cet incident financier et économique conjoncturel, dont la résolution aura exigé les efforts des contribuables pour plusieurs années à venir encore, ne doit pas nous faire oublier une réalité plus profonde. Les assises de l'économie de marché restent fragiles et minées par plusieurs crises en gestation qui s'attisent les unes les autres.

Tout aurait commencé au début des années 80 avec le triomphe du thatchérisme et du reaganisme, selon Damien Millet et Éric Toussaint. Leur ouvrage, La crise, quelles crises?, est un réquisitoire contre la mondialisation libérale et un plaidoyer pour une économie moins axée sur le productivisme.

Depuis maintenant 30 ans, rappellent-ils, la part de la richesse concentrée dans les mains des plus riches a considérablement augmenté.

Cela a été maintes fois démontré. L'essai sent moins le réchauffé cependant quand ses auteurs mettent en relief que le taux de profit des entreprises augmente alors que leur taux d'accumulation diminue depuis plusieurs années. «Les profits réalisés par les entreprises leur servent de moins en moins à accumuler du capital pour l'investir dans des équipements et dans la création d'emplois puisqu'ils sont très majoritairement distribués aux actionnaires», écrivent-ils.

Socialistes avoués, ils dénoncent la collusion des partis politiques traditionnels qui ont adopté à l'unisson des plans de sauvetage similaires pour renflouer les banques au prix d'un endettement accru des États qui s'apprêtent à rogner leurs services afin de payer la facture.

Les auteurs sont particulièrement durs envers le président américain Barack Obama dont ils critiquent les choix de conseillers économiques. Les Robert Rubin, Lawrence Summers, Timothy Geithner et autres Christina Romer ont tous contribué à mettre la table pour la crise financière. «Prétendre ré-réguler l'économie mondiale déboussolée en donnant les leviers de décision à ceux qui l'ont dérégulée au forceps revient à vouloir éteindre un incendie en faisant appel à des pompiers pyromanes», écrivent-ils.

Ils soutiennent même que des économistes plus critiques de Wall Street, tels Paul Krugman, Joseph Stiglitz, Nouriel Roubini et James K. Galbraith, auraient été disposés à servir.

Ils s'étonnent que Washington ait participé à l'actionnariat de plusieurs banques américaines, sans pourtant infléchir leur façon de faire.

Millet et Toussaint examinent aussi les signes précurseurs de la récession, comme la fameuse crise alimentaire de 2007-2008 qui a vu le cours des céréales s'embraser. Après avoir rappelé que des analystes attribuaient faussement la faute aux Chinois et aux Indiens, deux exportateurs nets d'aliments, ils pointent deux coupables: la production d'éthanol et de biodiesels qui réduit le nombre de terres arables réservées à l'alimentation, et les achats de contrats à terme sur les denrées par les investisseurs institutionnels, tout juste intéressés à spéculer sur les prix.

Les auteurs préconisent une agriculture axée sur l'autosuffisance domestique, en assurant la primauté du droit à l'alimentation sur le droit commercial.

Ils recommandent aussi la renégociation à rabais de la dette étrangère des États du Sud, comme vient de le réussir l'Équateur. Ils affirment qu'elle a été en partie contractée par des dictateurs, mis ou maintenus en place par les pays prêteurs. Ainsi, la dette d'Haïti s'élevait à 900 millions en 1986 et la fortune des Duvalier à 750 millions.

On ne sera pas surpris de lire dans cet essai que les avenues explorées pour contrôler la pollution, comme les Bourses du carbone, ne régleront rien. «Dans le cadre de la mondialisation néolibérale, la question climatique ne peut pas trouver de solution à hauteur de l'enjeu», écrivent les auteurs.

Côté solution, ils remettent en question le capitalisme tel que nous le connaissons, mais leurs propositions restent à l'état embryonnaire et peu convaincantes, hormis peut-être pour quelques esprits éblouis.

Il reste tout de même de cette lecture matière à réflexion ne serait-ce que par la mise en lumière de réalités trop souvent occultées.

Damien Millet et Éric Toussaint. La crise, quelles crises? Éditions Aden. 2010. 286 pages.