La Société des rédacteurs du Monde, actionnaire principal du prestigieux quotidien français, a rejeté massivement vendredi l'offre de reprise du trio France Télécom-Prisa-Perdriel, qui avait la faveur du président Nicolas Sarkozy.

Le Monde cherche un repreneur qui devra massivement recapitaliser un groupe fortement endetté. Les montants sont évalués de 80 à 120 millions d'euros.

La Société des rédacteurs (SRM) a voté à 90,84% en faveur de l'offre de reprise déposée par le trio concurrent, regroupant le mécène Pierre Bergé, le banquier d'affaires Matthieu Pigasse (patron de Lazard Europe) et le président de l'opérateur internet Free, Xavier Niel.

Vendredi, seul un groupe minoritaire de journalistes, au sein de la SRM, a donné sa préférence à l'offre menée par le patron du newsmagazine le Nouvel Observateur, Claude Perdriel associé à l'espagnol Prisa (quotidien El Pais) et à France Télécom.

La décision définitive du choix du repreneur est attendue fin juin, après un vote de l'assemblée générale de l'ensemble des actionnaires du Monde.

Sitôt choisi, le repreneur devra avancer 10 millions d'euros pour pallier les difficultés de trésorerie et engager des négociations sur la recapitalisation.

Le rachat de l'influent quotidien a récemment pris une dimension politique, avec la révélation que le chef de l'État avait convié son directeur Eric Fottorino pour lui dire que l'offre Bergé-Pigasse-Niel ne trouvait pas grâce à ses yeux.

Pierre Bergé a financièrement soutenu la campagne de la socialiste Ségolène Royal pendant la présidentielle de 2007. Certains observateurs voient aussi la main de l'Elysée derrière France Télécom, détenu à 26% par l'État.

L'intervention du président a suscité une levée de boucliers de ses adversaires politiques qui l'accusent de «s'immiscer» dans les affaires des médias.

Le Parti socialiste l'a appelé «à respecter l'indépendance des médias». Le Parti communiste a évoqué une «berlusconisation» du président. «Le pouvoir considère que les médias doivent être sous son influence», a réagi le centriste François Bayrou.

Le président français entretient une relation complexe avec les médias où il dispose d'un important réseau, comptant des patrons de presse parmi ses amis, tout en étant la cible de nombreuses critiques.

Le porte-parole du parti présidentiel UMP a réfuté toute «mainmise» du chef de l'État sur le rachat du Monde et dénoncé une «rumeur grotesque».

Au-delà du rachat du Monde, le pouvoir est accusé de multiplier ses interventions dans les médias. Cette semaine, deux humoristes connus pour leurs chroniques au vitriol égratignant tous les politiques, y compris le président et son entourage, ont été congédiés de la radio publique.

«L'humour ne doit pas être confisqué par de petits tyrans», a expliqué le PDG de Radio France Jean-Luc Hees.

Plusieurs de leurs chroniques ont créé la polémique. Mais selon les deux humoristes, Stéphane Guillon et Didier Porte, leur éviction est liée au fait que le PDG de Radio France a été nommé par le chef de l'Etat. «A deux ans de la présidentielle, nous virer, c'est bizarre...», a dit M. Porte.

Alors que le mandat du patron de la télévision publique prend fin en août, cent personnalités du monde politique, culturel, artistique ont signé début juin un manifeste contre un «audiovisuel public sous contrôle».

En vertu d'une loi de 2009, les patrons des médias publics sont nommés par l'exécutif. Pour succéder à Patrick de Carolis à France Télévision, le nom d'Alexandre Bompard, jeune patron de la radio Europe 1 (groupe d'Arnaud Lagardère, proche de Nicolas Sarkozy), a été avancé.

D'une façon générale, le Syndicat national des journalistes SNJ-CGT a accusé le président de vouloir placer «des médias sous influence en vue des élections de 2012».