Ottawa envisage d'ouvrir complètement l'industrie des télécoms à la propriété étrangère, ce qui rendrait possible le rachat de fleurons comme Bell Canada et Telus par des groupes d'autres pays.

Il s'agit d'une des trois « options » présentées hier par Industrie Canada en vue d'attirer davantage de capitaux étrangers dans ce secteur, dont les revenus dépassent 40 milliards par année au pays. Les trois scénarios seront soumis à une consultation publique jusqu'au 30 juillet.

« Notre objectif est d'encourager l'investissement, de stimuler l'innovation et de favoriser la libre concurrence dans le secteur des télécommunications, ce qui sera avantageux tant pour les entreprises que pour les consommateurs », a déclaré le ministre fédéral de l'Industrie, Tony Clement.

Outre l'ouverture pure et simple à la propriété étrangère, Ottawa songe aussi à permettre davantage d'investissements internationaux, mais seulement pour les entreprises à petite capitalisation.

Selon ce scénario, toutes les sociétés qui détiennent moins de 10% du marché - soit des revenus annuels inférieurs à 4,03 milliards - pourraient bénéficier d'une injection plus grande de capitaux étrangers. Cela permettrait aux nouveaux venus, comme Wind Mobile ou Public Mobile, de démarrer plus vite leurs activités.

Dans les faits, cette façon de faire a déjà été permise dans le cas de Wind Mobile. Ce nouveau fournisseur sans fil est financé à échelle d'un demi-milliard par le géant égyptien Orascom, qui assume aussi la majeure partie de sa dette.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes avait empêché Wind Mobile de lancer ses activités en raison du rôle trop grand d'Orascom, mais Ottawa a renversé la décision en décembre dernier. Ce geste a été perçu comme une gifle envers le CRTC - et un bon indicateur de la vision du gouvernement conservateur en matière de propriété étrangère.Débat passionné

La troisième option étudiée par Industrie Canada augmenterait à 49% le pourcentage d'actions avec droit de vote d'une entreprise de télécoms pouvant être détenues par des étrangers. Ce plafond s'établit aujourd'hui à 20%.

Quel scénario sera retenu? Selon Iain Grant, analyste spécialisé au SeaBoard Group, le rehaussement de la limite à 49% est le plus susceptible d'être appliqué. «On aurait dû le faire depuis longtemps.»

M. Grant penche aussi en faveur de l'abolition des restrictions pour les «nouveaux entrants». Ce scénario profiterait directement aux consommateurs grâce à des baisses de prix rapides, tout en frustrant au plus haut point les géants établis, estime l'expert.

Les trois plus importants fournisseurs du pays (Bell, Rogers et Telus), qui se partagent plus de 95% du marché sans fil, sont très opposés à une réglementation à deux vitesses. Une telle façon de faire favoriserait les nouveaux venus à leur détriment, disent-ils.

«Nous allons affronter nos concurrents dans n'importe quelle circonstance, tant que nous pouvons tous le faire sur le même pied d'égalité», a lancé à La Presse Affaires Michael Hennessy, vice-président des affaires réglementaires et gouvernementales chez Telus.

Telus favorise une abolition de toutes les contraintes à la propriété étrangère, a souligné M. Hennessy. Mais ce scénario paraît peu probable à l'analyste Iain Grant. Car cette option, tout en permettant un afflux massif de capitaux étrangers, rendrait aussi possible le rachat des géants canadiens par des fournisseurs étrangers comme Orange ou Deutsche Telecom.

Après la vente de fleurons comme Alcan et Domtar, la pilule pourrait être dure à avaler pour certains.

Bell Canada Entreprises, pour sa part, penche vers une rehaussement des limites de propriétés étrangères à 49%. Cela «en autant que les mêmes règles s'appliquent à tous, petites et grosses sociétés, du côté des télécoms et de la diffusion», a fait valoir mark Langton, porte-parole de BCE.

Cette révision de la Loi sur les télécommunications s'inscrit dans la logique appliquée par les conservateurs de Stephen Harper depuis leur entrée au pouvoir. L'examen « est conforme à l'approche du gouvernement visant à favoriser davantage le jeu du libre marché plutôt que de compter uniquement sur la réglementation», indique d'ailleurs Industrie Canada dans son communiqué publié hier.

La révision en cours ne touche pas la Loi sur les radiodiffusion, qui favorise la production et l'offre de contenus canadiens, souligne aussi Industrie Canada.