Pour éviter une nouvelle débauche financière, les États doivent adopter des lois qui ont des dents.

«Aux États-Unis, le projet de loi devant le Sénat n'est pas parfait, mais il est assez bon, malgré le lobby furieux de l'industrie financière», a indiqué hier Paul Volcker, directeur du Conseil pour la construction économique créé par le président Barack Obama. En six mois, elle a dépensé 150 millions pour l'édenter. C'est une vraie bataille.»L'ancien président de la Réserve fédérale américaine, qui n'avait pas craint de créer une récession en 1980 en haussant les taux directeurs à 20% pour casser l'inflation, n'a pas plus froid aux yeux cette fois-ci pour mettre les marchés financiers au pas.

Conférencier-vedette à la 16e Conférence de Montréal hier, M. Volcker a défendu les quatre axes de la réforme débattue au Sénat et dont il est l'architecte. «Plusieurs États pourraient s'en inspirer pour mener leur propre réforme», a-t-il même suggéré tout en louant le fonctionnement actuel du système canadien.

Plus de pouvoir

Il faut éviter l'aléa moral créé par le sauvetage aux frais des contribuables d'institutions qui mettent le système financier en péril. Pour ce faire, Paul Volcker préconise de donner le pouvoir à une autorité (la Réserve fédérale ou une autre) de s'emparer sans délai (overnight) d'une entité défaillante et d'organiser sa liquidation.

Les actionnaires et les créanciers qui risquent de tout perdre dans pareille opération deviendront ainsi plus vigilants pour éviter la prise de risque indue.

De plus, seules les banques commerciales auraient droit au filet de sécurité de l'État qui garantit en partie leurs dépôts et qui peut agir comme prêteur de dernier ressort par l'entremise de sa banque centrale.

«Les banques commerciales fournissent des services essentiels en assurant le fonctionnement du système des paiements et en prêtant, rappelle le jeune octogénaire qui n'a rien perdu de sa fougue. Les autres institutions ne doivent pas être protégées. Si elles sont défaillantes, qu'elles tombent.»

Bref, le filet de sécurité ne doit pas s'appliquer aux transactions mobilières (trading).

Voilà pourquoi, le projet de loi prévoit qu'une banque commerciale ne pourra plus se lancer dans des activités spéculatives. Cela donne lieu à des excès. Un seul courtier a ainsi pu faire perdre des milliards de dollars à la banque française Société générale. «Cela donne une idée des risques de la nouvelle finance.»

À cet égard, il plaide aussi pour un encadrement rigoureux des transactions de produits dérivés structurés, les swaps de défaillance (CDS) en particulier.

Ces swaps sont des assurances prises sur la solvabilité des émetteurs de dette. Ils se sont développés de façon foudroyante depuis leur création en 1998. «Dix ans plus tard, pour 10 000 milliards de dettes, il y avait 60 000 milliards de CDS», souligne M. Volcker. Et il aura fallu que les contribuables avancent plus de 160 milliards pour sauver l'assureur AIG, principal émetteur de CDS aux autres institutions financières qui spéculaient sur la défaillance des titres adossés à des prêts hypothécaires qu'ils avaient eux-mêmes consentis.

«Je ne pensais pas voir le jour où le gouvernement américain aurait à garantir des milliers de milliards de dettes», a-t-il répété.

Organiser des marchés transparents pour les produits structurés va rogner la marge de profit de bien des banques qui y cultivaient leurs choux gras, d'où leur lobby.

Les fonds spéculatifs devront en outre s'enregistrer aux États-Unis et rapporter leurs positions à une autorité réglementaire.

Enfin, il faudra confier à une autorité le soin d'évaluer qui représente un risque systémique, une tâche qui relève des banquiers centraux, mais qu'ils ont mal remplie.

Le travail des organismes internationaux de supervision est utile, mais trop lent et insuffisant. Il a fallu 10 ans, a-t-il rappelé, pour conclure les accords de Bâle II en 2007 et, un an après, ils se sont révélés obsolètes. «Nous avons besoin de réglementer sévèrement pour faciliter la supervision, soutient M. Volcker. Le paradigme de l'autoréglementation des marchés est une vision angélique qui n'est plus valide.»