On a fait grand état des frasques de Vincent Lacroix et de ses (futurs) clients au bar Chez Parée. Le fraudeur n'appliquait pourtant qu'une vieille tactique qui fait recette depuis des siècles dans les affaires politiques et d'espionnage.

«L'accès au sexe facile est depuis toujours un privilège du pouvoir politique. L'émergence de grandes puissances économiques indépendantes des États, dans la seconde moitié du XXe siècle a élargi ce privilège régalien au secteur privé», lit-on dans Sexus Economicus. Le grand tabou des affaires. L'ouvrage est signé Yvonnick Denoël, un nom de plume qui cacherait un spécialiste du renseignement et qui a déjà publié Le Livre noir de la CIA Les archives dévoilées.

Un brin racoleur, cet essai regroupe les différentes facettes du plus vieux métier du monde pour faire aboutir ou échouer des transactions, extorquer de l'information sensible, faire chanter un concurrent ou récompenser des performants.

Les exemples abondent, mais l'auteur a soin de ne citer que des cas qui ont fait l'objet de procès ou de couvertures médiatiques. N'empêche, la recherche est fouillée et, hormis les avides de détails croustillants, la plupart des lecteurs pourront se réjouir de la misère des riches en le lisant, même distraitement.

Espionnage à Pékin

On apprend ainsi que plusieurs cadres de sociétés britanniques de télécommunications sont tombés dans les «pièges à miel» chinois durant les Jeux olympiques de Pékin. Le travail des filles, parfois mineures, consistait à copier le contenu (et surtout la messagerie) des BlackBerry à la recherche d'informations stratégiques.

L'espionnage n'est pas l'objectif le plus fréquent de l'embauche de professionnelles. Décrocher un contrat juteux mérite de satisfaire le client même avant la transaction. Les salons de l'armement de Paris ou de la haute technologie sont des lieux réputés pour offrir plus que du champagne.

La tradition française

En la matière, la Ville lumière n'est plus reine. Elle a été détrônée par la Babylone du désert. C'est à Las Vegas que s'organisent le plus grand nombre de foires spécialisées. Selon l'auteur, les casinos font leur fortune durant les week-ends. Durant les jours de semaine, c'est l'industrie du sexe qui triomphe, souvent aux frais des entreprises qui délèguent leurs cadres dynamiques dans d'interminables séances et présentations techniques.

Denoël insiste beaucoup aussi sur la tradition française de faire des affaires avec la bénédiction de l'État. Quoi de mieux pour sceller une importante vente d'armes que de fournir des filles aux chefs d'État. Il cite les cas du chah d'Iran, plusieurs émirs émiratis et saoudiens, des dictateurs africains comme Jean-Bédel Bokassa (Centreafrique) ou Omar Bongo (Gabon). Tous exigeaient leur lot de chair dès qu'ils débarquaient dans la capitale.

Les stars n'échappent pas à la règle. Bernard Tapie, l'ineffable ex-propriétaire de l'Olympique de Marseille, avoue candidement qu'il fournissait des filles à ses joueurs logés à l'hôtel, la veille des matches de la Coupe d'Europe. Prétexte: s'assurer qu'ils ne fassent pas la fête ou de la casse en ville!

Denoël relate aussi les goûts particuliers de Dick Cheney, ancien vice-président des États-Unis, mais aussi président du groupe Halliburton. Le soir de la victoire contestée de George W. Bush, en novembre 2000, une filiale de Halliburton abritait le cabinet fantôme du futur président qui a reçu la visite de plusieurs filles d'un important réseau de call-girls dont Cheney était un client régulier.

Le grand tabou, c'est le secret. C'est souvent ce qui perd les chefs et affaiblit leur entreprise quand l'affaire éclate au grand jour. D'où la conclusion de l'auteur: «À quoi bon dépenser plusieurs millions d'euros par an pour assurer la sécurité de son groupe, si l'on ne se soumet pas soi-même aux règles élémentaires de précaution dans sa vie privée? C'est une question que vont devoir traiter les conseils d'administration dans les années qui viennent.»

Oseront-ils?

Sexus Economicus. Le grand tabou des affaires. Yvonnick Denoël. Nouveau Monde éditions. Paris 2010. 299 pages.