Pour la première fois depuis juillet 2007, la Banque du Canada va sans aucun doute augmenter son taux directeur demain. Elle sera la première banque centrale du G7 à agir de la sorte et il faudra encore plusieurs mois avant qu'une autre ne l'imite.

Ce sera aussi la première fois que son gouverneur Mark Carney préside à un resserrement monétaire puisqu'il est entré en fonction le 1er février 2008, au moment où la crise financière faisait rage.

Le 20 avril dernier, lorsqu'elle a reconduit son taux cible de financement à un jour à son niveau plancher de 0,25%, la Banque a surpris les observateurs en laissant tomber son engagement conditionnel de le maintenir à 0,25% jusqu'à la fin du deuxième trimestre.

Zone euro

«À la faveur de l'amélioration récente des perspectives économiques, ces politiques exceptionnelles deviennent moins nécessaires et il convient de commencer à atténuer la détente monétaire en place», a précisé la Banque dans le communiqué faisant part de sa décision.

Elle a du même souffle ajouté, cependant, que «l'ampleur et le moment où cela se produira seront fonction des prévisions concernant l'activité économique et l'inflation et seront compatibles avec la réalisation de la cible d'inflation de 2%».

Les parieurs ont immédiatement misé sur une hausse dès le 1er juin plutôt que le 20 juillet.

La rapide aggravation de la crise dans la zone euro a amené la majorité des parieurs à revoir leur position. Le 21 mai, un parieur sur quatre seulement misait encore sur un geste fait demain.

L'ampleur de la crise européenne a été scrutée sous toutes ses coutures la semaine dernière. Même la décote surprise de la dette espagnole par Fitch vendredi ne devrait plus faire hésiter la Banque.

«Le produit intérieur brut de l'Asie émergente est maintenant plus élevé que celui de la zone euro», a fait remarquer Stéfane Marion, économiste en chef à la Banque Nationale.

«La forte croissance en Asie et aux États-Unis peut compenser la faiblesse de l'Europe et maintenir l'expansion du PIB mondial à près de 4% cette année», poursuit M. Marion.

Les États-Unis et l'Asie sont les deux principaux clients du Canada. Ce sont aussi les deux plus importants consommateurs de produits de base dont le Canada regorge. Leurs prix devraient rester fermes, malgré la correction récente, et soutenir la production canadienne.

Pas de raison d'attendre

«Compte tenu de la confiance élevée des ménages et des entreprises, de l'apport des stimuli gouvernementaux et de la reprise du secteur manufacturier américain qui alimente la demande de produits de base, nous ne voyons pas comment le fait d'attendre un autre mois avant de majorer les taux pourrait aider l'économie canadienne», a affirmé vendredi Jimmy Jean, économiste chez Moody's Analytics.

En bougeant dès demain, la Banque se garde le loisir de moduler doucement les augmentations du loyer de l'argent vers un taux neutre. Bien qu'elle n'ait jamais précisé quel est ce taux, il correspond à un monde idéal: une croissance optimale avec un taux d'inflation de près de 2%. Ce taux neutre oscillerait entre 3% et 3,5%, selon les calculs de différents économistes.

L'économie canadienne roule en quatrième vitesse depuis l'automne, à plus de 5% de croissance en rythme annuel. La phase de reprise tire à sa fin. Dès l'été, l'économie passera en mode d'expansion, ce qui suppose une croissance plus lente.

Le taux d'inflation est déjà bien près des 2%. L'indice des prix à la consommation (IPC) global se situait à 1,8% en avril. Sans ses composantes les plus volatiles, il est déjà de 1,9%.

Même en stagnant plusieurs mois, il laisse peu de temps d'attente à la Banque pour s'approcher de son taux neutre et donner toutes les chances à l'expansion de perdurer sans générer d'inflation excessive.

Voilà pourquoi bien des économistes croient que le taux directeur devrait se situer à 3% ou 3,5% dans un an, période à laquelle la Banque prévoit que l'IPC évoluera au rythme de 2,0%.