Entre 1,5 et 2 millions de millions de dollars. C'est la valeur du capital financier qui s'est évaporé pendant la crise du crédit dont la planète est encore en train de se remettre.

Une somme colossale? Certainement. Sauf que, chaque année dans le monde, les forêts qui tombent sous les scies et les flammes entraînent des pertes de richesse... deux fois plus importantes, dit Pavan Sukhdev. Et la presse financière n'en fait aucun cas.

«Plusieurs actifs qui jouent un rôle crucial dans notre économie sont invisibles économiquement parce que notre système de comptabilité - celui avec lequel on calcule le produit intérieur brut (PIB) d'un pays, par exemple - ne tient pas compte de la valeur des écosystèmes», explique M. Sukhdev.

Celui qui parle est loin de l'écolo en poncho. Pavan Sukhdev est un économiste indien qui a joué un rôle crucial dans l'évolution de la politique monétaire de son pays dans les années 90. L'homme a ensuite occupé plusieurs postes de haut niveau au sein de la Deutsche Bank, dont chef des marchés financiers pour l'Asie-Pacifique et grand patron de toute la division des marchés émergents.

Récemment, il a pris un congé de deux ans de la Deutsche Bank pour aller conseiller les Nations unies sur l'économie verte. Son titre: chercheur pour l'initiative Économie des écosystèmes et biodiversité du programme de l'ONU pour l'environnement.

M. Sukhdev s'est donné pour mission de calculer la valeur de ce qu'il appelle «le capital naturel» pour convaincre les politiciens de le préserver.

L'idée est simple: en calculant tous les biens et les services qui découlent ou pourraient découler d'un écosystème, il est possible de chiffrer la valeur de celui-ci. «On travaille à l'envers, on remonte la chaîne, dit M. Sukhdev. C'est une pratique économique standard, mais qu'on applique à des actifs habituellement ignorés.»

Si les écosystèmes n'ont pas de valeur économique officielle, c'est qu'ils ne sont pas transigés, dit M. Sukhdev. L'économiste donne l'exemple du diamant, un objet qui a une grande valeur mais ne sert pas à grand-chose. L'air que nous respirons, au contraire, est vital mais ne vaut pas un cent.

«Le problème est psychologique, dit l'économiste. La société moderne a une fixation sur les marchés. On pense qu'il n'y a rien d'autre que les marchés, que tout ce qui n'est pas transigé n'a pas de valeur.»

Son espoir, c'est qu'en mettant des signes de dollars sur des actifs qui échappent au marché, les gouvernements réalisent leur valeur et travaillent à les préserver. Parce que la balle est dans le camp des politiciens, dit M. Sukdhev, qui résume leur rôle bien simplement: «gérer les richesses publiques».

«Les gouvernements font déjà ça. Ils construisent des ponts et des routes, ils fournissent de l'éducation, des hôpitaux, des soins. Ils gèrent la richesse publique créée par l'homme. Mais la plupart des gouvernements sont très mauvais pour gérer la richesse publique créée par la nature.»

Mettre un prix sur les écosystèmes amène un corollaire: investir pour les protéger est rentable. Et si le capital naturel a un prix, le Canada est riche, dit aussi M. Sukdhev, qui voit seulement le Brésil et l'incroyable richesse génétique de ses forêts pluviales pour nous déclasser sur ce terrain.

«Commencez à calculer votre biomasse, où elle est, quel est son potentiel économique, combien ça coûte de l'entretenir. Faites un état des lieux, conseille l'économiste. C'est une question de bon sens: vous avez des actifs immenses. Est-ce que vous laissez votre argent devant votre porte? Non! Vous le mettez à la banque et vous faites des choses intelligentes avec. Pourquoi ne faites-vous pas la même chose avec votre capital naturel?»

C'est d'autant plus important que l'économie verte qui se met en branle actuellement est là pour rester, assure-t-il. «Ce n'est pas une mode. C'est réel, c'est du concret.»

Ses théories, M. Sukhdev les énonce avec le débit rapide et l'assurance d'un homme qui a fait ses devoirs. Chaque argument est étayé par un barrage de faits et de références.

«Je suis économiste et j'ai travaillé en finance. J'ai été banquier pendant 25 ans. J'ai transigé, vendu, structuré, géré des équipes et des risques. Je sais un truc ou deux sur le fonctionnement des marchés», avertit-il.

Mais que diable pousse justement un banquier qui n'a plus rien à prouver à aller militer pour les écosystèmes? «Un jour, ma femme m'a posé une question: pourquoi certaines choses valent-elles de l'argent et d'autres pas? J'ai commencé à lui expliquer les théories de l'argent et tout. Mais, à un moment donné, j'ai réalisé tout le sens de sa question. Et je suis retourné à mes propres insatisfactions avec mes études en économie.»

«Ça vient peut-être de ma formation scientifique: j'ai commencé comme physicien et j'aime me poser des questions fondamentales, continue M. Sukhdev. Pour moi, toute forme d'illogisme est un problème. Je n'aime pas l'illogisme et la stupidité. Et si je peux réduire la quantité de stupidité sur la planète avant de mourir, je vais être heureux.»