Les provinces et les entreprises canadiennes qui empruntent sur les marchés financiers profitent momentanément de la crise financière de la zone euro.

Les investisseurs se ruent vers les produits qui représentent un havre pour leurs capitaux. Au premier rang figurent les bons du Trésor américain, le produit financier le plus liquide au monde.

IIs deviennent de plus en plus recherchés, et forcément plus chers. Ceux qui viennent à échéance en 2020 offraient un rendement de 3,96%, le 5 avril dernier. Hier, on se les disputait à 3,24% seulement. Bref, l'investisseur renonce à une portion de rendement, car dans l'insécurité ambiante, c'est avant tout la sauvegarde de ses avoirs qui le préoccupe.

Les obligations canadiennes sont aussi prisées, compte tenu de la bonne santé relative de nos finances publiques et de la solide réputation de maîtrise des cibles budgétaires acquise au cours des années 90. Le 22 avril, une obligation venant à échéance en 2019 offrait un rendement de 3,73%. Hier, c'était ramené à 3,35%. Le 20 avril, on se le rappelle, la Banque du Canada avait créé une certaine commotion en renonçant à son engagement conditionnel de maintenir son taux cible de financement à un jour à hauteur de 0,25% jusqu'au 30 juin. Les parieurs ont vite misé sur une hausse de taux dès le 1er juin, ce qui a poussé les taux obligataires. Hier, ils n'accordaient plus qu'une chance sur deux à l'entrée en jeu des autorités monétaires dès juin.

En contrepartie de la sécurité des obligations fédérales, les investisseurs exigent une prime accrue pour acheter de la dette émise par les provinces et les sociétés.

Toujours le 22 avril, une obligation du Québec qui vient à échéance en 2019 se négociait à 4,52%, soit un écart de 80 centièmes par rapport à une canadienne de même échéance. Hier, l'écart avait atteint 94 points. Comme le rendement de la fédérale est tombé à 3,35%, la québécoise se négociait à 4,29%.

Selon Paul-André Pinsonnault, économiste principal à la Banque Nationale, on ne peut attribuer l'élargissement des écarts entre les obligations canadiennes et provinciales seulement à la crise dans la zone euro. «Ils ont commencé à s'élargir dès le début de l'année compte tenu des besoins d'emprunts. Si les provinces réussissent à respecter leurs budgets, alors les investisseurs seront bien rémunérés.»

Les banques canadiennes, dont la note de crédit est meilleure que celle de certains pays de la zone euro, tirent aussi partie de la situation. Le 19 avril, elles devaient consentir un taux de 4,64% pour des obligations de cinq à 10 ans d'échéance. Mardi, c'était quelques centièmes de moins.

Au point où les Banques Royale et TD ont abaissé hier de 11 centièmes les taux de leurs prêts hypothécaires pour un terme de cinq ans. Il s'établit désormais à 5,99% pour le taux affiché et à 4,59% pour celui dit de la meilleure offre.

Les besoins d'emprunt des provinces sont évalués à 78,2 milliards cette année. Cette somme inclut de nouvelles émissions pour financer les déficits en cours et le renouvellement d'obligations venant à échéance, selon la compilation de Jean-François Godin, vice-président à la recherche, marchés des revenus fixes chez Valeurs mobilières Desjardins. C'est grosso modo 1,5 milliard par semaine.

À ses yeux, les conditions présentes du marché sont gagnantes pour les investisseurs et les provinces émettrices. Les premiers sont heureux que les écarts s'élargissent, les secondes que le rendement consenti soit moins élevé qu'il y a quelques semaines.

Ainsi la semaine dernière, le Québec a facilement vendu une tranche de 500 millions d'obligations venant à échéance en 2041. Le rendement est de 4,925%, un écart de 97 centièmes sur une obligation fédérale de 2037. Le 26 avril, elle avait aussi vendu une tranche semblable. L'écart consenti était seulement de 90 centièmes, mais le taux s'élevait à 4,969%.

«L'émission a fait un carton», conclut M.Godin.