Les hedge funds sont des animaux financiers en constante mutation. On a d'abord cru bien traduire l'expression par fonds de couverture, avant de se rendre compte qu'ils sont avant tout des fonds spéculatifs et un catalyseur dans la récente crise financière.

Fait remarquable, constatent Michel Aglietta, Sabrina Khanniche et Sandra Rigot, dans leur essai fouillé sur la drôle de bibitte, il n'existe aucune définition de ces quasi-banques de l'ombre.

On sait plutôt ce qu'elles ne sont pas: des institutions financières bien capitalisées et encadrées.

Le premier hedge fund créé en 1949 par Alfred Winslow Jones était vraiment un fonds de couverture. Il protégeait le risque de marché en vendant à découvert les titres qu'il jugeait sous-performants, tout en achetant les meilleurs.

Sa clientèle était surtout des gens fortunés en quête de diversification.

Depuis l'attaque de George Soros sur la livre sterling au début des années 90 qui lui a permis d'empocher 1 milliard en une journée, on sait que les hedge funds peuvent provoquer délibérément une crise financière en toute impunité, faute d'encadrement.

On sait aussi, depuis 2007, qu'ils peuvent agir comme propagateur d'une crise qui tire sa source ailleurs dans le système financier. Voilà pourquoi les auteurs tentent de mieux cerner qui ils sont désormais. «Les hedge funds ont des bilans de banques de marché: leur capital est faible par rapport à leurs actifs exposés au risque, écrivent-ils. À cause du levier d'endettement, ils peuvent transmettre un risque endogène à l'ensemble des systèmes financiers et sont donc des véhicules possibles de risque systémique.»

Le mode de rémunération des gestionnaires de fonds spéculatifs encourage la prise de risque indue, estiment les auteurs. Les gérants réclament 2 ou 3% de frais de gestion ainsi qu'une commission allant de 20% à 30% des bénéfices. En cas de pertes, ce sont les contributeurs, qui sont de fait les propriétaires du fonds, qui les absorbent seuls.

Ces mêmes propriétaires sont des investisseurs captifs puisqu'ils peuvent retirer leurs billes seulement plusieurs années après leur entrée. Pire, ces investisseurs ne sont pas informés des stratégies d'investissement, car ces fonds échappent à toute obligation de divulgation.

Imposture

Pour réaliser les rendements mirobolants qu'ils font miroiter, ils sont en cheville avec des banques d'investissements. Ces banques avancent des marges de crédit, fournissent des services financiers et leur vendent des produits structurés dont les plus toxiques.

«L'imposture est de faire croire que les hedge funds ont le secret de surprofits systématiques sans risques supérieurs à ceux qu'on réalise en suivant le marché», soulignent les auteurs.

Mais qui donc confie beaucoup d'argent à ces fonds les yeux fermés ou presque? Depuis quelques années, ce sont majoritairement des investisseurs institutionnels, des caisses de retraite surtout. Les hedge funds gèrent donc de l'épargne publique, mais n'ont aucun devoir de fiduciaire, tant est laxiste leur encadrement juridique.

Ils peuvent être très dangereux quand ils s'associent à leur cousin germain, les fonds de capital investissement (private equity) pour s'emparer d'une entreprise en l'endettant par la technique de l'achat adossé à des actifs (leverage buy-out). Les dégâts ont été surtout perçus en Allemagne, pays où l'économie sociale de marché a pourtant permis l'édification d'une société à la fois riche et concurrentielle.

«Les hedge funds sont-ils de pures entités privées comme ils le prétendent ou acquièrent-ils indirectement une responsabilité sociale que les investisseurs institutionnels devraient leur transmettre parce qu'ils deviennent leurs actionnaires de fait?» s'interrogent les auteurs.

Ils passent en revue les mesures annoncées en Europe et aux États-Unis pour tenter d'encadrer leur pratique. Ils déplorent le fait que ni l'Europe ni les États-Unis ne cherchent à empêcher leur enregistrement dans un paradis fiscal et juridique.

Ils prônent surtout que les investisseurs institutionnels jouent un rôle actif, en refusant désormais la rémunération asymétrique des gestionnaires de fonds et en exigeant la diminution de l'effet de levier. «L'idée est de rechercher un contrat qui permette aux investisseurs institutionnels de redevenir les patrons.»

Cela entraînera une restructuration souhaitable de cette industrie.

 

Les hedge funds: Entrepreneurs ou requins de la finance?

Michel Aglietta, Sabrina Khanniche Sandra Rigot.

Perrin 2010.

363 pages.