Le malencontreux feuilleton qu'ont vécu les édiles de la Ville de Québec a mis en évidence l'importance que prend, de nos jours, la recherche d'une image de marque pour les villes. Nombre de spécialistes nous l'affirment: une image positive est à même de mobiliser les différents acteurs de la ville, et, en projetant cette image à l'extérieur de façon cohérente et unique, d'en renforcer le caractère attractif.

Ce phénomène n'est pas limité au Québec, il est mondial. Les spécialistes précédemment évoqués affirment alors travailler selon une logique de marque. Cette logique est, en fait, devenue un prisme à travers lequel est aujourd'hui façonnée l'image d'une multitude d'entités: nations, villes, régions, parcs naturels, institutions religieuses, universités, hôpitaux, personnes, etc.

L'importance de la «marque»

Du pays lui-même jusqu'aux individus, rien ne semble devoir échapper à cette vague. Les entreprises, manufacturières comme de services, sont bien sûr elles aussi concernées, non seulement à travers les produits et services qu'elles mettent en marché, mais sur le plan de leur identité organisationnelle elle-même. Au-delà du seul marketing, l'expression de «marque corporative» est ainsi un vocable en vogue pour les dirigeants de ressources humaines également.

Qu'est-ce qu'une marque? Si ses définitions sont nombreuses, de façon synthétique, il est commode de représenter la marque par la combinaison de trois éléments: une raison d'être, un ancrage et un territoire. La raison d'être représente le combat de la marque ou la source des valeurs qu'elle porte: la créativité pour Apple, la liberté pour Virgin, ou l'éternité pour Rome.

L'ancrage de la marque correspond à son histoire ainsi qu'à son caractère quasi contractuel: pour aller au plus simple, les caractéristiques de performance, de prix ou de qualité des produits ou services que signe la marque.

Le territoire coïncide pour sa part avec l'ensemble des associations faites à la marque, son univers, y compris sur le plan imaginaire: couleurs distinctives, sons, odeurs, causes ou personnes, etc. Ces trois éléments, en se combinant, font émerger la personnalité unique de l'objet marqué.

Point de référence, une marque permet alors de situer cet objet (une ville, par exemple) parmi une constellation d'autres objets associés (l'ensemble des villes, toujours à titre d'exemple). Mal alignés, ces trois éléments ne pourront que créer une personnalité floue ou incertaine. Ce qui, bien entendu, est un défaut majeur: s'affirmer comme point de référence suppose le moins possible de confusion.

Appliquée au domaine commercial, cette logique de marque s'est montrée fort utile et efficace, notamment parce qu'elle permet de maintenir un effet de différenciation, au-delà des qualités objectives intrinsèques des produits et services. Comme nous l'avons souligné en introduction de cet article, la logique de marque déborde toutefois aujourd'hui largement le domaine commercial. Elle est appliquée aux villes, aux pays comme aux personnes.

Le politicien français d'extrême droite Jean-Marie Le Pen vient ainsi d'affirmer qu'il était encore «une bonne marque», et, dans les faits, il ne semble pas y avoir de limites aux champs possibles d'application de cette logique. Un exercice de quelques minutes (ou de nombreuses heures lourdement facturées) nous montrera sans difficulté que nous sommes en mesure d'appliquer avec succès cette logique tant à un politicien qu'au frêne, au cabillaud ou à nous-même...

Le terme brand ou branding, désignant la marque ou le marquage en langue anglaise, trouve son origine étymologique dans le mot français «brandon». Ce terme désigne l'empreinte faite sur le bétail, avec un fer rouge, afin de signifier l'appartenance de celui-ci à un propriétaire.

Résistance de la population

Marquer un objet, c'est en effet en prendre possession. Ce qui est vrai pour un produit ou un service commercial l'est aussi pour un lieu ou une institution. Les études menées par l'auteur de ce texte dans le cas des villes mettent toutes en évidence le rapport ambigu de la population à l'égard de ce type d'exercice de branding.

Instinctivement, l'agacement, sinon la résistance de la population, lors de la définition puis de la projection de l'image de sa ville, mettent en relief deux sentiments: une impression de perte d'appropriation ou de spoliation du lieu au profit d'une image qui apparaît comme le reflet d'une identité décidée et imposée; le ridicule perçu d'une image très réductrice, car incapable de rendre pleinement compte de la complexité de ce qui forme en définitive une cité.

L'image d'une ville, sa réputation, est en effet le résultat dans la durée de multiples gestes et initiatives, parfois heureux, parfois non, souvent contradictoires. C'est de ces mouvements incessants que naît en définitive l'image de la ville. Il est possible de s'interroger sur la pertinence d'un exercice qui vise à définir cette image non plus comme un résultat ou un résidu, mais comme un cadre préalable. Il est difficile de ne pas voir dans cette réduction au dénominateur commun un exercice assez stérile. Ce qui est vrai d'une ville l'est également pour une institution, une entreprise, une personne ou une destination.

La marque est d'abord et avant tout un artifice commercial. Utile dans ce domaine, appliquer sa logique à un autre contexte, celui de la ville, par exemple, est un exercice des plus périlleux, certainement pas neutre ni innocent, dont l'à-propos et la légitimité doivent donc être questionnés.

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Pierre Balloffet est professeur de marketing à HEC Montréal.