L'économie canadienne connaît une bonne séquence, celle de la Chine explose et même le secteur manufacturier américain rebondit, tandis que le marché de l'emploi semble en passe d'enregistrer ses meilleurs gains en deux ans. Alors pourquoi les Canadiens sont-ils si nerveux?

D'après un sondage de la Banque Royale, les deux tiers des Canadiens sont inquiets de l'état de leurs finances, et 22% craignent de perdre leur emploi.

Encore plus surprenant, plus de Canadiens -20%, contre 13% le mois précédent- croient que l'économie va se détériorer d'ici un an, malgré une accumulation de données mettant plutôt en évidence un solide rebond depuis la fin de la récession.

Certains persistent à croire que la reprise n'est que poudre aux yeux -une opinion qui peut se défendre, affirment des économistes qui, comme plusieurs Canadiens «ordinaires», croient eux aussi qu'une bulle est à la veille d'éclater.

«L'impression persistante que c'est trop beau pour être vrai, il y a quelque chose de réel là-dedans», note l'économiste Benjamin Tal, de la Banque CIBC.

L'indice des capacités des consommateurs calculé par la CIBC suggère que l'économie canadienne est actuellement dopée aux stéroïdes; les problèmes vont commencer avec la fin du plan de relance du gouvernement canadien et les hausses des taux d'intérêt. Et cela va se produire dans seulement quelques mois, averti M. Tal.

L'indice est calculé à partir de sept indicateurs sur les finances personnelles, et ceux-ci permettent de croire que les Canadiens vivent au-dessus de leurs moyens et qu'ils vont le réaliser lorsque les taux d'intérêt vont commencer à grimper, dans quelques mois.

Le premier sous-gouverneur de la Banque du Canada, Paul Jenkins, s'est aussi prononcé contre l'exubérance irrationnelle provoquée par les données reluisantes qui émanent de l'économie canadienne.

La croissance de 5% au quatrième trimestre de 2009 était inattendue, et celle de 5,5% que plusieurs attendent pour le premier trimestre est encore plus exorbitante.

Mais en 37 ans à la banque centrale, M. Jenkins a tout vu et il avertit que les points tournants de l'économie -particulièrement dans un cas où le gouvernement a allongé 46 milliards $ en mesures de relance et où la banque centrale a ramené son taux d'intérêt directeur pratiquement à zéro- peuvent générer des chiffres bizarres.

Il est possible que les Canadiens aient été amenés à dépenser pour des maisons, des automobiles, des meubles et des appareils domestiques plus tôt qu'ils n'auraient dû le faire, ce qui signifie qu'ils dépenseront moins lorsqu'ils devraient normalement le faire.

«Il est important de conserver une perspective qui va au-delà d'un ou de deux trimestres», a prévenu M. Jenkins lors d'un entretien. «On doit penser à ce dont l'économie aura l'air lorsque les mesures de relance s'estomperont.»

Benjamin Tal croit que les consommateurs ont adopté ce comportement ces 12 derniers mois. L'économie a été faible pendant la plus grande partie de cette période, et pourtant, les emprunts des ménages ont progressé de 7%, soit plus de trois fois de plus que les revenus.

Compte tenu de la vivacité du marché canadien de l'habitation, il n'est pas surprenant que 70% de ces emprunts se soit retrouvé dans des hypothèques, les Canadiens continuant à acheter des maisons malgré l'incertitude qui régnait au chapitre des emplois. Une seule raison explique cela, affirme M. Tal: la faiblesse des taux hypothécaires, trop alléchante pour être ignorée.

Mais plutôt que de contribuer à la croissance, la politique publique va en fait commencer à ralentir l'activité économique dans la deuxième moitié de 2010, lorsque les mesures incitatives fiscales vont commencer à s'évanouir et que la Banque du Canada va hausser les taux d'intérêt.

«Si vous regarder les reprises des 50 dernières années, aucune d'entre elle n'a été linéaire, et celle-ci sera la plus non-linéaire du lot», a estimé M. Tal.

«Il y a tellement de stimulation artificielle aux États-Unis et au Canada (...) que le gouvernement sera un élément négatif pour l'économie dans la deuxième moitié de l'année qui s'en vient.»

M. Tal ne croit pas que les difficultés à venir se traduiront par une deuxième récession, mais elles seront assez nombreuses pour ralentir l'activité économique et ramener le taux de croissance actuel de 5% à environ 2%.