La récente crise financière a sérieusement entaché la crédibilité des agences de notation.

Elles ont été montrées du doigt, au même titre que la sophistication de la titrisation ou le cadre réglementaire inadéquat des marchés financiers.

Norbert Gaillard s'attache dans son ouvrage synthèse Les agences de notation à expliquer ce qui cloche avec Moody's, Standard & Poor's et Fitch. Cet oligopole contrôle quelque 90% de l'industrie de la notation dans le monde.

L'auteur, qui agit comme consultant à la Banque mondiale, énumère cinq critiques faites aux agences et les analyse une à une. Il s'agit de (1) l'opacité de leurs méthodes, (2) la forte concentration de l'industrie, (3) les conflits d'intérêts qui découlent de leur mode de rémunération, (4) leur incapacité chronique à anticiper la dégradation brutale de la solvabilité des emprunteurs et (5) leur tendance réagir avec excès une fois confirmées les crises.

Les première et deuxième sont largement connues. L'apport de Gaillard consiste beaucoup à étayer le bon sens populaire en comparant les méthodes des trois grandes agences et en retraçant l'histoire de la notation qui remonterait à Vidocq.

L'arrivée d'un encadrement réglementaire dans la foulée de la Grande Dépression a nettement favorisé la concentration, met-il en lumière.

Les conflits d'intérêts sont apparus au début des années 70 quand elles ont dû modifier leurs sources de revenus. Depuis leur création, elles vendaient leurs analyses et leurs notes aux investisseurs. L'arrivée de la photocopieuse a torpillé leur modèle d'affaires. Dès lors, elles se sont fait financer par les émetteurs de titres désireux de convaincre les investisseurs de la qualité de leur dette.

La croissance des produits structurés, dont l'évaluation et la notation sont coûteuses en raison de leur complexité, est venue à représenter une part grandissante des revenus des agences. Près de 50%, en 2007-2008, affirme Gaillard.

Les émetteurs ne sont pas dupes. Ils ont vite appris à magasiner leur note de crédit.

Au surplus, plusieurs réglementations, des deux côtés de l'Atlantique, obligent les émetteurs à obtenir une note de crédit pour pouvoir vendre leurs titres de dette. Cela assure une rente aux agences, note Gaillard.

L'auteur fait ressortir jusqu'à quel point les agences n'ont pas vu venir la crise, même si quelques observateurs avisés tel Warren Buffett avaient levé un drapeau sur le risque associé aux titres adossés à des hypothèques résidentielles (RMBS) accordées souvent sans enquête. «L'ampleur et la magnitude des abaissements de notes survenues à partir du début de 2007 sont inédites dans l'histoire de la notation», écrit-il. Pour cette seule année, les trois agences ont procédé à près de 22 000 décotes de produits structurés. Dans 72% des cas, la dégradation était d'au moins trois crans. L'année suivante, 82% des abaissements portaient sur des titres adossés à des RMBS.

Gaillard rappelle même que Lehman avait une note de crédit «A» au moment de sa faillite, ce qui illustre bien aussi le faible pouvoir d'anticipation des agences. Elles ont surestimé la capacité ou la volonté des États d'intervenir pour sauver les banques trop grosses pour faillir et nourri la crise des hypothèques à risques (subprimes), compte tenu de leur mode de rémunération.

L'auteur ébauche quelques pistes de solution. Il suggère que les autorités réglementaires agissent pour modifier le mode de rémunération des agences, tout en retirant l'obligation pour les émetteurs de titres d'obtenir une note de crédit. Cela incitera les grands investisseurs à faire leurs propres recherches.

«Les agences de notation doivent se montrer à la hauteur d'un des principaux défis de la décennie 2010: l'irrémédiable détérioration de la solvabilité de plusieurs pays industrialisés», conclut-il.

Norbert Gaillard. Les agences de notation. La Découverte. Paris. 126 pages.