À l'heure actuelle, les groupes de presse hebdomadaire se croisent sur seulement 20% du territoire québécois. Mais les lancements des Échos de Laval et de la Rive-Nord par Quebecor, celui imminent de L'Express de la Rive-Sud et peut-être d'un autre en Abitibi par Transcontinental, ainsi que les trois Courrier d'un indépendant à Saint-Jean-sur-Richelieu, tous dans des territoires occupés, annoncent des guerres territoriales.

En février, Sun Media (Quebecor) lâchait deux hebdos gratuits à Laval et la Rive-Nord dans les pattes du Courrier Laval de Médias Transcontinental. Puis, rapidement, on apprenait que Transcontinental publierait dès avril un hebdo à Longueuil sur le terrain du Courrier du Sud de Quebecor. Oeil pour oeil, dent pour dent? «Il y a là une opportunité intéressante, répond plutôt Serge Lemieux, vice-président des journaux Québec et Ontario de Médias Transcontinental. C'est un marché stratégique qu'on regardait depuis des années, car on n'a rien sur la Rive-Sud. Transcontinental a pour politique de ne jamais concurrencer les hebdos qu'il distribue. Mais le Courrier du Sud a décidé de mettre fin à son contrat de distribution avec nous en 2009. D'ici cinq ans, notre chiffre d'affaires devrait être de 5 à 6 millions.»

Pour se tailler une place dans leur nouveau marché, les deux entreprises pourraient offrir des baisses de prix aux annonceurs. Une bonne chose pour les clients. Une mauvaise pour les éditeurs, selon certains. Approchée pour commenter la situation, Quebecor n'a pas rappelé La Presse Affaires. «Il ne faut pas faire ça, car ça revient à négliger nos produits, croit Philippe Auclair, directeur général des Hebdos Montérégiens. Il y a une valeur à la pub. On se bat pour la qualité de l'information chaque semaine.»

Les Hebdos Montérégiens qui publie 14 hebdos autour de Longueuil pense toutefois être touché par l'arrivée prochaine de L'Express de Transcontinental. «Il va y avoir des dommages collatéraux, car nous avons des clients de Longueuil», dit-il.

À Saint-Jean-sur-Richelieu où est publié le Canada Français, on a vu arriver cette semaine les Courrier du Haut-Richelieu, municipal et de Cowansville. Cela sit, on affirme de part et d'autre qu'on ne se lancera pas dans une guerre de prix. Khaled Kalille, cofondateur des Courier soutient cependant que son concurrent offre des contrats d'exclusivité à bon prix. «Ça nous affecte, dit-il. Je serais menteur d'affirmer le contraire.»

«On ne joue pas avec notre carte tarifaire, répond Renel Bouchard, directeur général du Canada Français. On est plutôt dans une guerre de qualité.»

C'est la deuxième fois en une décennie que Khaled Kalille lance des hebdos dans la région... rachetés il y a huit ans par Groupe Le Canada Français, qui les a fermés. Cette fois, l'éditeur indépendant jure que ses Courrier sont là pour rester. «Je veux promouvoir l'achat local, dit-il. Ce sont souvent les mêmes entreprises qui annoncent dans Le Canada Français.»

«Vendre ses journaux puis relancer le même produit, c'est permis, mais ce n'est pas très honorable», mentionne Renel Bouchard.

Y'a-t-il de la place pour plus de 220 hebdos au Québec? «Dans beaucoup de marchés, on ne peut pas en lancer, estime Paul Brisson, propriétaire de six hebdos sur la Côte-Nord, dans Charlevoix et le Bas-Saint-Laurent. Déjà, certains mangent leur bas.»

L'administrateur et directeur général des Éditions Nordiques oeuvre dans un marché publicitaire qu'il estime à 8 millions et dans lequel se trouvent des journaux de Quebecor. Après avoir été racheté par Pierre Péladeau, en 1980 et s'être fait montrer la porte en 1995, l'éditeur est revenu concurrencer Quebecor sur le même champ de bataille. «Lancer un hebdo coûte cher, dit Paul Brisson. Les Éditions Nordiques sont rentables maintenant, mais il y a eu des années difficiles.»

Aujourd'hui, les Éditions Nordiques publie, distribue ses journaux et les circulaires de Transcontinental sur la Côte-Nord. «Ça me fait un beau chiffre d'affaires», dit Paul Brisson.

Le nerf de la guerre

Car il y a la publication et l'impression d'hebdos :«Les grands groupes veulent aussi faire rouler leurs presses», selon Gilbert Paquette. Mais il ne faut pas oublier leur distribution. Un marché estimé à 200 millions de dollars.

Jusqu'au 1er juillet 2009, Quebecor distribuait le Publi-Sac de Transcontinental en Abitibi-Témiscamingue, en Gaspésie, dans le Bas Saint-Laurent et sur la Côte-Nord. Tandis que Transcontinental distribuait les journaux et les circulaires de son concurrent au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Peu avant la fin de l'entente, Quebecor annonçait la création de Réseau Quebecor Media, une filiale spécialisée en impression et en distribution de circulaires. Celle-ci survenait un peu plus d'un an après l'acquisition d'une participation majoritaire d'Alex Media Services, distributeur de circulaires montréalais. «La nature complémentaire des deux entreprises leur permettra de développer un plus large éventail de produits et de s'attaquer à de nouveaux marchés», disait à l'époque à La Presse canadienne Benoit Dessureault, fondateur d'Alex Media.

De nouvelles fondations étaient coulées pour lier le tout éventuellement en un solide et efficace réseau. «Quebecor et Transcontinental n'avaient jusque-là jamais été en compétition en distribution, note Paul Brisson. Là, la guerre est prise.»

«Transcontinental et Quebecor avaient une entente tacite, explique Gilbert Paquette. Si elles sortent de nouveaux journaux, c'est qu'elles estiment que le marché va assez bien. Est-ce qu'ils vont pouvoir absorber ça? La libre concurrence va décider.»