Partout dans le monde, les entreprises tentent de réduire rapidement leur endettement en s'attaquant aux coûts de main-d'oeuvre. La manière la plus facile de réduire ceux-ci est de réduire l'effectif. Certaines le font de manière ponctuelle, une fois de temps en temps, pour s'ajuster à une conjoncture défavorable, d'autres pratiquent les coupes de manière continuelle.

Année après année, on observe un rétrécissement de la taille de ces entreprises. Ce régime minceur profite-t-il aux entreprises concernées? Les marchés financiers, qui réagissent parfois de manière positive à l'annonce de réductions de personnel, pensent que oui. Pourtant, la réponse est, en général, négative: sabrer les têtes est une bien mauvaise stratégie.

Une étude menée auprès de 239 entreprises manufacturières canadiennes et américaines, dont 140 avaient procédé à une réduction d'effectif, a récemment montré que celles-ci n'avaient vu ni leur endettement diminuer ni la productivité de leur personnel s'améliorer significativement par rapport aux 99 entreprises qui n'avaient pas réduit leur effectif. La plupart des études nord-américaines sur le sujet arrivent aux mêmes conclusions. Pourquoi?

Lorsqu'on diminue l'effectif de l'entreprise, la productivité du personnel, mesurée par le chiffre d'affaires par personne, n'augmente que si le chiffre d'affaires demeure constant ou augmente. Or, les entreprises qui avaient réduit leur effectif ont vu leur chiffre d'affaires lui aussi diminuer, à la suite de la coupe de personnel.

L'effet de celle-ci a été annulé par la baisse sensible des ventes, entraînant une diminution du rapport entre les deux. La réduction de l'effectif a des effets pervers: elle entraîne une perte de savoir-faire, notamment commercial, et touche le moral de ceux qui restent, deux phénomènes qui n'aident pas l'entreprise à battre des records de ventes.

Pour ce qui est de l'endettement, mesuré par le ratio dettes sur actif net, on observe la même chose: il reste au même niveau, malgré la réduction de personnel et des coûts de main-d'oeuvre que celle-ci a dû entraîner. On peut se demander s'il n'y pas un seuil en deçà duquel il ne faut pas descendre pour que les coupes aient un effet sur l'endettement. Autrement dit, seule une réduction importante permettrait à l'entreprise de réduire son ratio d'endettement. Pour vérifier cette hypothèse, on a séparé les «coupeurs de tête» en deux: les «grands coupeurs (une réduction de plus de 20% de l'effectif) et les «petits coupeurs» (de 5% à 19%). Résultat: le premier groupe voit son endettement augmenter après la réduction.

Bref, une coupe ponctuelle du personnel n'améliore pas le sort des entreprises en difficulté passagère, même pas pour faire ce que l'évidence suggère: améliorer la productivité du personnel et diminuer l'endettement à court terme. Une coupe génère des coûts imprévus (indemnisations, heures supplémentaires, réorganisation des activités, etc.). Mais si l'entreprise persévère, si elle sabre continuellement ses effectifs, réussit-elle à s'en sortir? Le cas de GM nous éclaire à ce sujet.

L'exemple de GM

GM a poursuivi une stratégie de réduction de ses effectifs au cours des 12 dernières années. En 1998, le constructeur automobile comptait 354 000 employés; en 2009, il ne restait plus que 219 000 personnes. Cette stratégie avait pour but évident de réduire les coûts de main-d'oeuvre, bien plus élevés que ceux de ses concurrents. Ce n'est pas ce qui s'est produit. D'abord, les coûts de main-d'oeuvre directe sont passés de 20,4 milliards en 1998 à 22,3 milliards en 2006. Ils n'ont commencé à baisser qu'en 2007. Ensuite, le coût horaire du travail a grimpé de 46,17$ en 1998 à 81,18$ en 2005. Il ne s'est mis à baisser qu'en 2006. Enfin, les frais généraux, qui incluent les rémunérations des cadres, sont passés de 13,3 milliards en 1998 à 16 milliards en 2001, pour baisser à 11,7 milliards en 2002 et remonter à 14,2 milliards en 2008.

Les réductions continues et substantielles d'effectif n'ont fait diminuer ni les coûts de main-d'oeuvre directe, ni le coût horaire de travail, ni les frais généraux, comme l'espérait la direction de GM, du moins jusqu'en 2007.

Les réductions d'effectif, ponctuelles ou continues, sans autres changements, causent un grave préjudice aux entreprises. Actionnaires et investisseurs devraient s'en méfier, plutôt que s'en réjouir.

Jean-Yves Le Louarn est professeur titulaire au service de l'enseignement de la gestion des ressources humaines, à HEC Montréal.

jean-yves.le-louarn@hec.ca