On les savait en crise, mais les réseaux de télé généralistes privés viennent officiellement de voir leurs finances virer au rouge. Pour la première fois de l'histoire du pays, ils ont été déficitaires en 2009. Seuls les réseaux québécois se tirent bien d'affaire.

Selon les états financiers compilés par le CRTC, les réseaux de télé généralistes privés du pays, qui comprennent notamment CTV, Global, TVA et V, ont perdu 116 millions de dollars en 2009. Leur marge de perte a été de 5,9%. La société d'État CBC/Radio-Canada a généré une perte avant impôts et intérêts de 12 millions, ce qui porte le total des pertes des réseaux généralistes à 128 millions en 2009.

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Il s'agit des premières pertes annuelles des télés généralistes depuis que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a commencé à compiler ces données en 1996.

«Ça s'inscrit dans une tendance de fond depuis plusieurs années. Les profits sont davantage dans la distribution», dit Pierre Trudel, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal et spécialiste des technologies de l'information.

L'annonce des premières pertes des télés généralistes survient à quelques jours seulement de la décision tant attendue du CRTC sur l'octroi de redevances sur les revenus du câble aux télés généralistes. L'organisme fédéral tranchera lundi prochain. «La dernière fois (en octobre 2008), le CRTC avait jugé que les télés généralistes n'avaient pas fait une preuve suffisante. À partir du moment où le CRTC s'aperçoit qu'il y a péril en la demeure, il pourrait imposer des redevances aux télés généralistes», dit Pierre Trudel.

Opposés à l'octroi de redevances aux télés généralistes, les distributeurs pourraient contester la décision du CRTC devant les tribunaux ou le gouvernement Harper, qui a le dernier mot. «Les réseaux généralistes ont connu une année creuse en 2009, mais ils ont fait des profits durant le reste de la décennie, dit Mirko Bibic, chef des affaires réglementaires de Bell Canada. Je trouve triste qu'après une seule mauvaise année, leur solution soit d'imposer des frais additionnels aux consommateurs.»

L'exception québécoise

La situation des réseaux généralistes privés est moins dramatique au Québec, où ils ont généré des profits de 23 millions en 2009. Le Québec est la seule région du pays où les réseaux généralistes ne sont pas déficitaires. Les pertes sont de 87 millions en Ontario, 8 millions dans les provinces des Prairies, 28 millions en Colombie-Britannique et les territoires, et 16 millions dans les provinces de l'Atlantique.

Il n'y a pas si longtemps, exploiter un réseau de télé généraliste était une activité lucrative. Entre 2005 et 2007, les profits des réseaux généralistes privés ont été respectivement de 113 millions, 91 millions et 242 millions. En 2008, les profits des télés généralistes ont chuté à seulement 8 millions, comparativement à des profits de 686 millions pour les télés spécialisées, la télé payante, la télé à la carte et la vidéo sur demande.

Aujourd'hui, outre les télés spécialisées, ce sont les distributeurs qui font l'essentiel des profits au petit écran. Les câblodistributeurs comme Vidéotron, Shaw, Rogers et Cogeco, qui rejoignent 8,1 millions de foyers au Canada, ont vu leurs profits augmenter de 2,1 à 2,3 milliards en 2009. Leur marge de profit est de 25,1%.

Les profits des distributeurs par satellite comme Bell, qui rejoignent 2,8 millions de foyers, ont augmenté de 1% pour s'établir à 82 millions en 2009. Leur marge de profit a diminué, passant de 4% à 3,7%. Selon Bell, ces chiffres doivent être mis en contexte. «Bell TV n'a jamais fait d'argent depuis sa création, dit Mirko Bibic. Je ne veux pas me faire le porte-parole des câblodistributeurs (les concurrents directs de Bell), mais leurs profits incluent ceux d'internet, de la téléphonie mobile et de la télévision.»

Le plus grand réseau généraliste au pays, CTV, n'a pas voulu commenter le rapport du CRTC. Quebecor (Vidéotron, TVA) et V n'ont pas rappelé La Presse Affaires.