La promesse faite maintes fois par les conservateurs a été réitérée hier de façon on ne peut plus officielle: Ottawa ouvrira le secteur des télécoms à la propriété étrangère, a déclaré la gouverneure générale lors du discours du Trône.

Peu de détails ont filtré sur les changements souhaités, si ce n'est qu'une place accrue sera faite aux capitaux internationaux. Mais déjà, l'Union des consommateurs entrevoit des baisses de prix dans le sans-fil et l'internet haute vitesse grâce à la compétition accrue.

«On voit ça d'un bon oeil, si c'est pour profiter aux consommateurs, a indiqué Charles Tanguay, porte-parole de l'organisme. Mais il faudra que ça se fasse sur un terrain de jeu bien balisé.»

«Croître et innover»

Dans un discours-fleuve d'une heure, la gouverneure générale Michaëlle Jean a étalé de façon générale la ligne directrice que compte adopter Ottawa en matière de télécoms.

«Notre gouvernement ouvrira davantage le Canada au capital de risque et à l'investissement étranger dans les secteurs clés, notamment ceux des satellites et des télécommunications, donnant ainsi aux entreprises canadiennes un accès aux fonds et à l'expertise dont elles ont besoin», a déclaré Mme Jean.

Le ministre de l'Industrie Tony Clement n'a pas été beaucoup plus explicite en point de presse peu après. Il a répété que le secteur devait absolument s'ouvrir davantage aux investissements étrangers pour continuer à «croître et innover».

«Tout investissement devrait clairement être au bénéfice du Canada et satisfaire les critères de sécurité nationale», a ajouté le ministre, qui s'attend à de nombreux débats avant que la législation actuelle soit modifiée.

Un dada conservateur

Ce n'est pas la première fois qu'Ottawa témoigne de son désir d'ouvrir davantage le secteur des télécoms, un dada des conservateurs depuis leur entrée au pouvoir.

Ottawa a déjà mis à l'épreuve les lois actuelles en renversant une décision du CRTC dans le dossier de Globalive, ce nouveau fournisseur sans fil financé à hauteur de 500 millions par des intérêts égyptiens.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes avait jugé que Globalive contrevenait aux lois locales en matière de propriété étrangère, l'empêchant du coup de lancer son service. Mais le ministre Clement a finalement donné le feu vert à l'entreprise, en décembre dernier, ce qui lui a permis de lancer sa bannière Wind Mobile à Toronto.

À l'heure actuelle, une entreprise étrangère ne peut détenir plus de 20% des actions à droit de vote d'un fournisseur de télécoms canadien et jusqu'à 33,3% des actions à droit de vote de la société mère.

L'ouverture souhaitée par Ottawa permettra à des groupes étrangers d'investir davantage dans les fournisseurs canadiens. Ou encore, selon des analystes, de carrément lancer un nouveau service ici pour venir concurrencer sur leur terrain les géants comme Bell, Rogers et Telus.

Comment réagissent ces mastodontes? Bell Canada, principale entreprise de télécoms au pays, refuse pour l'instant de se prononcer sur les changements anticipés. «On réserve nos commentaires pour demain (aujourd'hui), après avoir eu plus de détails dans le dépôt du budget», a indiqué la porte-parole Jacqueline Michelis.

Telus se dit pour sa part ouvert à une libéralisation des règles de propriété étrangère, «tant qu'elles sont appliquées de façon juste et symétrique».

Nouveaux entrants

Selon l'analyste spécialisé en télécoms Iain Grant, du SeaBoard Group, l'ouverture visée par Ottawa constitue une nouvelle «fabuleuse» pour les consommateurs. Et surtout pour les entreprises canadiennes et leurs actionnaires, qui bénéficieront d'un accès plus aisé à des capitaux.

Philippe Huang, de la firme UBS, croit pour sa part que l'assouplissement des règles profitera en premier lieu aux «nouveaux entrants» dans le sans-fil, comme Public Mobile et Vidéotron qui doivent lancer leur service au cours des prochains mois. Le financement sera plus facile à obtenir, croit-il.

Pour les géants établis, le bénéfice financier se fera plutôt sentir «à long terme», dans le cas d'une prise de contrôle par un groupe étranger, ajoute M. Huang.

Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois, s'inquiète malgré tout de cette ouverture accrue aux intérêts internationaux. Le Québec y perdra au change, selon lui.

«La culture, c'est la voix d'un peuple, de la nation québécoise, avec les succès qu'on connaît, a dénoncé M. Duceppe. C'est aussi un puissant levier économique. Et là, on va en laisser une partie à la propriété étrangère. Les gens de cette industrie au Québec dénoncent cette décision.»

Si tout se déroule rondement - et si le gouvernement minoritaire de Stephen Harper parvient à se maintenir au pouvoir -, les changements pourraient être implantés «d'ici Noël», croit l'analyste Iain Grant.

Plus de détails pourraient filtrer aujourd'hui au dévoilement du budget fédéral 2010-2011 à Ottawa.