La classe moyenne épargne peu. La classe moyenne en arrache.

Cette classe moyenne si souvent évoquée a-t-elle un visage? Le vôtre, peut-être?

Chose certaine, ses traits sont passablement incertains.

Reprenons depuis le début. La classe moyenne qui épargne peu, selon un sondage paru en février 2009, gagne entre 40 000$ et 60 000$.

Celle qui en arrache, cette fois dans un sondage publié en septembre 2008, touche un revenu variant de 40 000$ à 90 000$.

Avec le temps, la notion de classe moyenne a évolué, pour glisser... vers le centre. Dans un article paru en 1963, le professeur de sociologie de l'Université de Montréal Jacques Brazeau avait tenté une définition. «J'englobe dans cette catégorie sociale des consommateurs ayant une aisance quelque peu supérieure à la moyenne, des hommes de profession et des individus qui occupent des postes de direction dans de grandes ou de moyennes entreprises», avait-il écrit.

Près d'un demi-siècle plus tard, une description quantitative demeure tout aussi difficile à cerner. La classe moyenne est écrasée par les impôts, entend-on? Au ministère des Finances du Québec, cette notion n'existe pas. «On n'a pas vraiment de définition précise de ce qu'est la classe moyenne, indique le porte-parole, Jacques Delorme. C'est une généralité. En fait, on pourrait dire que c'est une classe de gens dont le revenu se situe entre la classe de gens ayant un faible revenu et la classe de gens ayant un revenu plus élevé.»

Cherchons ailleurs. Pour définir la classe moyenne, un des sondages mentionnés plus haut a utilisé une mesure «similaire à celle employée par Statistique Canada et l'ISQ». Pourtant, rien de tel à l'Institut de la statistique du Québec. «On ne fait pas ça, nous», affirme Stéphane Crespeau, agent de recherche et de planification socioéconomique. Aux fins de notre analyse, toutefois, il propose d'utiliser la distribution des revenus des ménages en cinq groupes égaux, appelés quintiles.

Écartons les deux extrêmes et retenons les trois quintiles du centre, pour regrouper 60% des ménages. Dans cette fourchette, les revenus varient de 19 900$ à 82 500$ (revenus des unités familiales avant impôt et après transferts, en 2006).

«C'est extrêmement schématique, prévient Stéphane Crespeau. Et de là à appeler ça la classe moyenne, ça supposerait une revue approfondie de la question.»

Où ça, classe moyenne?

À Statistique Canada, premier réflexe, on répond que cette notion de classe moyenne est inconnue: «Êtes-vous certain que Statistique Canada a déjà utilisé ce concept-là?»

Il semble bien que oui, quoique avec parcimonie et discernement. La dernière étude à en faire mention, en 2007, a défini que la classe moyenne incluait les familles «ayant un revenu familial se situant entre 75% et 150% du revenu médian».

Revenu médian? Alignez toutes les familles par ordre croissant de revenus. Celle qui se trouve à l'exact milieu de la file gagne le revenu médian.

Le revenu médian du marché (somme des gains d'emploi, des revenus de placements et des revenus de retraite d'un régime privé) pour les familles économiques canadiennes de deux personnes et plus s'est établi en 2007 à 62 700$. Pour fixer la borne inférieure de notre classe moyenne, retenons 75% de ce revenu médian, soit 47 025$. La borne supérieure correspond à 150% du revenu médian, c'est-à-dire 94 050$.

Au Québec, où le revenu du marché médian s'est fixé à 51 900$, les familles de la classe moyenne gagnent donc entre 38 925$ et 77 850$.

Si on considère plutôt le revenu total (on ajoute tous les transferts gouvernementaux comme les prestations pour enfants, la RRQ, la PSV, les crédits de TPS et TVQ...), le revenu de la classe moyenne québécoise se situe entre 46 500$ et 93 000$, ce qui englobe à peu près la moitié des familles.

Voilà qui pourra fournir une base de comparaison à monsieur et madame Tout-le-Monde, qui bondissent quant ils entendent que telle voiture de 35 000$ ou telle maison de 500 000$ sont destinées à la classe moyenne.

Ce qui nous mène à une autre délicate question: qui sont monsieur et madame Tout-le-Monde?