Q Quelles étaient vos impressions de l'Inde, de ses habitants, de sa culture avant de recevoir l'information de vos fonctionnaires?

R Dans le milieu des affaires, j'ai eu à traiter à quelques reprises avec des gens qui venaient de l'Inde. J'ai bien connu le frère de l'ancien chef de l'OSM Zubin Mehta. Zarin Mehta a été directeur général de l'orchestre pendant des années. J'ai toujours perçu ces gens comme très «business», en général de très haut niveau et souvent d'une très

grande culture.

J'ai donc depuis longtemps une impression positive. Comme tout le monde, j'ai vu Slumdog Millionaire, qui montre ce qu'on va voir, un pays qui a d'énormes problèmes, mais un potentiel fabuleux. C'est ce que démontrent clairement les chiffres. Ce n'est pas pour rien qu'on a choisi l'Inde comme destination.

Quelles sont ces statistiques qui ont suscité tant d'intérêt? L'Inde n'est pas le principal partenaire commercial du Québec en Asie. Seulement 1% des exportations québécoises lui sont destinées.

R En 2008, les exportations du Québec en Inde ont augmenté de 54% par rapport à l'année précédente, pour atteindre 427 millions de dollars. C'est assez significatif. Il est vrai que les chiffres préliminaires de 2009 laissent prévoir un repli, mais c'est un pays dont la croissance est toujours de 5 à 10% du PIB, et ce, en dépit de la récession. Ce qui me frappe, c'est la volonté de ce gouvernement d'aller très rapidement.

Bien des spécialistes disent que l'Inde se développera au même rythme que la Chine. Le Québec ne peut se fermer à un marché de 1,1 milliard d'individus. Il faut être présent. On nous dit parfois: «Qu'est-ce que ça donne d'aller là?» Le premier ministre répond toujours: «Si on n'est pas présents, c'est certain qu'il ne se passera rien!»

L'Inde est au 14e rang de nos partenaires commerciaux. La moitié du produit intérieur brut québécois est exportée. À ce titre, en pourcentage du PIB, on est à égalité avec l'Allemagne ou la Chine, le plus grand pays exportateur au monde. Nous sommes de grands exportateurs et il faut l'être si on veut créer de la richesse. Avec les problèmes qu'ont connus les États-Unis, on n'a pas le choix. Peu de pays au monde ont une telle croissance.

Quels sont les rapports du Québec avec l'Inde? Au début de 2006, le premier ministre Charest y avait conduit une mission exploratoire. Raymond Bachand, alors responsable du développement économique, s'y est rendu l'automne suivant. Au début de 2006, on avait annoncé l'ouverture d'un bureau du Québec à Bombay. M. Charest va l'inaugurer cette semaine. Comment expliquer ces délais?

R M. Charest cultive depuis des années maintenant des relations avec des dirigeants indiens qu'il rencontre à Davos. Ils se montrent toujours très intéressés par le Québec. Il y a là quelque chose de très positif. En matière internationale, rien n'est jamais simple. Le bureau a été annoncé en 2006, mais il a débuté à l'automne 2008 - il faut du temps pour avoir les autorisations, les accréditations. C'est un processus normal. C'est le rythme des choses au plan diplomatique. Dans des pays comme la Chine, l'Inde ou la Russie, c'est plus utile d'être à l'intérieur de la représentation canadienne. C'est différent en Europe, où on parle plus d'États fédérés. Il n'y a pas de règles fixes, nous prenons nos décisions en fonction de l'intérêt supérieur du Québec.

Y a-t-il des risques pour les investisseurs, là-bas? On a entendu parler de retards administratifs, de problèmes à faire avancer des dossiers.

R Il y a des risques partout. J'ai fait la Chine, la Russie... Il y a des risques. Tout le monde parlait de la corruption. On dit aux gens d'affaires: «N'y allez pas à l'aveuglette. Choisissez des partenaires locaux fiables et embauchez des avocats qui connaissent les lois du pays, qui pourront faire breveter

vos produits.»

En Inde, il y a toujours eu des craintes par rapport à la sécurité. Mais les avantages sont bien supérieurs aux inconvénients. Je n'ai jamais entendu parler de corruption en Inde. On en entend parler beaucoup en Russie mais, récemment, un diplomate là-bas m'a dit que les 200 entreprises britanniques qui s'y sont installées à l'ouverture des marchés, en 1992, sont encore toutes présentes et font toujours de l'argent.

Vous serez accompagné de représentants d'entreprises importantes dans les secteurs de l'aéronautique, des biotechnologies et des technologies de l'information. Y aura-t-il des contrats annoncés?

R Dans le domaine de l'aéronautique, c'est important. Pour l'ingénierie aussi. L'Inde veut construire plus de 60 aéroports d'ici 10 ou 15 ans! À Bombay, c'est évident que l'aéroport a besoin d'être refait. Des sociétés comme CAE font des simulateurs de vols et espèrent des contrats avec les firmes indiennes. Bombardier sera de la mission, tout comme Canam Manac. Il y a énormément de potentiel.

Du côté des échanges, tous les recteurs des universités québécoises seront présents, beaucoup de choses sont possibles sur le plan de la recherche, en santé notamment. L'Inde a un travail important à faire dans le domaine hospitalier. C'est un pays en développement, tout est à faire. On parle de bio-informatique - ne me demandez pas de vous expliquer cela, mais cela me semble prometteur! On amène même une compagnie québécoise dans le secteur des ambulances!

Inversement, les Indiens montrent de l'intérêt pour ce qui se passe ici. Le groupe indien Tata a acheté Téléglobe Canada pour 250 millions. C'est 250 emplois à Montréal. Il y a des compagnies indiennes qui se développent à Montréal; à Kirkland, il y a une usine importante dans le domaine pharmaceutique.

Des contrats sont à prévoir?

R Dans le passé, les gouvernements s'empressaient de multiplier les mémorandums of understanding entre les entreprises, des ententes de principe qui souvent ne se matérialisaient pas. Je ne peux dire s'il y aura des ententes annoncées, mais s'il y en a, c'est qu'elles seront formelles. On a trop vu, en Chine par exemple, des ententes de milliards de dollars qui n'ont jamais abouti (lors de la mission de Lucien Bouchard en Chine, en 1996).

N'y a-t-il pas un risque de perte d'emplois? Des sociétés d'informatique québécoises font déjà concevoir des applications en Inde par des programmeurs à faible salaire. Des sociétés comme Air Canada ont établi leur centre d'appels en Inde. Des emplois vont-ils passer de Montréal à Bangalore?

R C'est toujours la même chose. Le marché québécois doit selon nous être le plus ouvert possible, c'est un consensus entre tous les partis politiques. On prêche la mobilité. Dans nos relations internationales, on trouve des partenaires, mais aussi des concurrents.

Quand Bombardier ouvre une usine au Mexique, certains craignent que Montréal perde des emplois. C'est possible, mais selon moi, en fin de compte, ces inconvénients sont largement compensés par des débouchés extraordinaires pour nos entreprises. Si on a une expertise assez pointue, on parviendra à consolider nos positions

au Québec.

Quand on est à l'avant-garde sur le plan technologique, on a une grande valeur ajoutée. Dans les jeux vidéo, on a 6000 emplois au Québec, des emplois lucratifs. Il y a une firme indienne, Babel Media, qui a choisi Montréal parce que c'est désormais un centre d'expertise, qu'il y a une main-d'oeuvre formée. C'est un plus.