Jusqu'à récemment, les journaux d'affaires et la littérature académique ont décrit le rôle des gestionnaires intermédiaires de manière généralement négative. La tendance était de leur affubler un rôle de courroie de transmission entre la haute direction et le reste de l'organisation. On les a aussi dépeints pendant très longtemps comme étant ceux qui avaient intérêt à résister au changement, voire à les saboter de l'intérieur pour ne pas perdre les privilèges durement acquis.

Dans le contexte actuel de mondialisation et de restructuration des entreprises, cette vision négative est en train de devenir désuète. Bien au contraire, les gestionnaires intermédiaires sont de plus en plus reconnus pour le rôle stratégique qu'ils jouent dans la mise en oeuvre des changements visant à rendre les entreprises plus flexibles.

Les gestionnaires intermédiaires d'aujourd'hui ressemblent de moins en moins aux gestionnaires intermédiaires typiques des grandes organisations bureaucratiques qui ont inspiré bien des manuels de gestion. Ils sont souvent plus scolarisés et sont friands de formation sur mesure. Ils ont changé d'organisations à quelques reprises et valorisent les expériences de gestion diverses.

En plus de jouer un rôle de transmission des décisions de la haute direction vers les employés, on leur reconnaît maintenant un rôle stratégique. Bien que celui-ci soit encore peu connu, il semble que pour plusieurs chercheurs, ce rôle stratégique serait lié aux activités qu'ils sont de plus en plus amenés à déployer aux frontières de l'organisation.

Ce rôle stratégique de pivot aux frontières de l'organisation s'exerce de différentes façons et repose sur les habiletés des gestionnaires intermédiaires à être en relation avec les autres.

D'abord, les gestionnaires intermédiaires sont mobilisés dans des activités de liaison entre les services et entre les différentes divisions de l'entreprise. Par exemple, certains font partie d'équipes multifonctionnelles chargées de réaliser des arbitrages budgétaires et de fonctionnement ayant des conséquences stratégiques.

D'autres travaillent à l'harmonisation des pratiques de gestion d'entreprises fusionnées, à créer des synergies entre divisions de la même entreprise ou à mettre en place des programmes de gestion communs à différentes unités.

Dans tous les cas, ils doivent faire preuve d'habiletés politiques, être de fins négociateurs pour s'assurer de convaincre les bonnes personnes de les suivre et arriver à établir des compromis durables.

Ensuite, les gestionnaires intermédiaires jouent un rôle clé à la frontière des organisations. En effet, ils en sont les représentants par excellence lorsque, dans leurs activités quotidiennes, ils transigent avec les fournisseurs, les clients ou les représentants sectoriels ou de la communauté.

En effet, il est important pour les gestionnaires intermédiaires qui travaillent dans les entreprises manufacturières ou de services dont les stratégies sont orientées vers le client et la qualité des produits de porter une attention particulière à ce qu'ils disent et à ce qu'ils font lorsqu'ils sont en contact avec les gens de l'extérieur. C'est dans ces comportements, qui peuvent au premier abord apparaître anodins, qu'ils fabriquent et diffusent le sens des orientations stratégiques de l'entreprise aux diverses parties prenantes de l'organisation.

Enfin, les gestionnaires intermédiaires sont aussi ceux qui sont de plus en plus au coeur des innovations dans l'entreprise. Entre autres, on parle maintenant dans les entreprises technologiques d'innovations ouvertes, c'est-à-dire d'innovations qui se font en collaboration avec des compétiteurs et qui sont stratégiques pour l'entreprise.

À côté des ingénieurs, comptables ou autres professionnels, les gestionnaires intermédiaires sont de plus en plus invités à participer à la mise au point de nouveaux procédés techniques ou à des tables de concertation intersectorielles. Dans ce cas, les gestionnaires intermédiaires doivent agir comme des relais entre les systèmes de l'entreprise et les divers partenaires de façon à s'assurer que l'information s'échange dans les deux sens.

Ces multiples activités qui font des gestionnaires intermédiaires les pivots stratégiques de nos entreprises demandent de nombreuses habiletés relationnelles. Ils doivent être de fins négociateurs, des créateurs de sens et des relais d'information. L'exercice de ces habiletés varie d'un gestionnaire intermédiaire à un autre et dépend en grande partie des connaissances pratiques qu'ils ont acquises au fil de leurs expériences.

Il faut donc que les formations de demain, au-delà des programmes standardisés, s'appuient aussi sur des outils et des dispositifs d'accompagnement qui permettent de renforcer ces habiletés individuelles. Sur ce terrain, les possibilités sont nombreuses, bien qu'encore peu explorées. Celles-ci vont des groupes de discussion ou de communautés de pratiques en passant par des outils de travail et de formation de soi (bioformations, récits de pratiques, journaux de bord ou blogues, etc.) pour n'en nommer que quelques-unes.

Linda Rouleau, Ph. D., travaille au service de l'enseignement du management, à HEC Montréal

Pour joindre notre collaboratrice: linda.rouleau@hec.ca