Résumons l'histoire en trois mots: une année difficile. En fait, on pourrait même écrire annus horribilis pour qualifier l'industrie du luxe si Sa Majesté Élisabeth II n'avait pas déjà utilisé l'expression pour décrire son calvaire de reine.

«Quand ç'a frappé, ç'a frappé très dur», explique Isabelle Hudon, qui siège depuis quatre ans au conseil d'administration de Holt Renfrew et qui, depuis deux ans, s'occupe plus spécifiquement de ses activités québécoises.

Cette récession a aussi lourdement affecté les grands noms de la mode comme Chanel, Burberry ou Louis Vuitton, qui ont vu leurs ventes reculer de plus de 15% dans certains cas. En Bourse, leurs titres ont fortement écopé, mais se sont mis à remonter allégrement depuis leurs creux printaniers.

La semaine dernière, la banque UBS a amorcé un suivi de l'industrie du luxe avec un imposant rapport de plus de 300 pages. Son constat: neutre avec un biais positif. En fait, les auteurs s'attendent à «une reprise de la croissance organique des ventes en 2010».

Pour comprendre ce qui s'est produit, Isabelle Hudon nous a invités au magasin de la rue Sherbrooke Ouest. Elle prend un sac Gucci et regarde le prix. «Moins de 2000$», constate-t-elle. Un modèle de la même ligne aurait coûté quelque 800$ de plus l'an dernier. «Ils se sont adaptés très rapidement au mood de la clientèle.»

À quelques coins de rue de là, à la Maison Ogilvy, le président Bernard Paré se compte chanceux. «En général, ça va quand même relativement bien.»

Cette année, il prévoit même que ses ventes seront en hausse de 2% ou 3% par rapport à l'an dernier. (Holt Renfrew, qui est aussi une société à capital fermé, n'a pas voulu dévoiler la moindre prévision.)

M. Paré explique son succès par le fait qu'il est très peu présent dans ce qu'il appelle «le grand luxe», des marques comme Hermès ou Bulgari. «Nous, on est dans le luxe abordable», dit-il.

Mais aussi «abordable» soit-il, son luxe ne se vend plus de la même façon qu'avant la crise. «Les gens, au lieu d'acheter un ensemble ou un complet, ils achètent des accessoires», explique-t-il.

Ses employés mettent aussi davantage l'accent sur le service à la clientèle. La nouvelle collection de tel couturier arrive, on appelle Madame Chose qui l'apprécie particulièrement. «On accentue notre service personnalisé, les gens sur le plancher ont plus de temps.»

Outre des produits moins chers venus de designers soucieux de garder leur clientèle, Holt Renfrew revoit aussi ses stratégies de vente. «La crise a changé la façon dont on se présente, explique Mme Hudon. Ce qu'on présente en premier, ce sont des produits plus accessibles.»

C'est ainsi que les clients qui entrent par le stationnement avec service de voiturier peuvent voir des produits Paul Smith ou Burberry, «mais pas de Burberry haut de gamme», précise-t-elle.

On tente aussi de rajeunir la clientèle et de la diversifier. «On n'a pas assez du marché francophone et allophone.» Le Café Holt, au sous-sol, a même changé son menu, offrant désormais des produits du terroir québécois.

Bref, la critique période des Fêtes s'amorce pour les grands du luxe après une année difficile qui les a forcés à remettre en question leur façon de faire. «L'hémorragie s'est arrêtée comme dans les autres secteurs, conclut Mme Hudon. Mais on sent encore que les gens réfléchissent, qu'ils font moins d'achats sur un coup de coeur.»

----------------

4 facteurs qui influencent l'industrie

- Les VENTES EN GROS aux marchands, les plus affectées pendant la présente crise, devraient reprendre graduellement, après une baisse importante des inventaires, selon la firme UBS.

- Le JAPON, où les boutiques de luxe sont presque aussi visibles que nos Jean Coutu, devrait rester un marché difficile en raison de la faiblesse de l'économie et du vieillissement de la population.

- La CROISSANCE ASIATIQUE, particulièrement en Chine, permettra l'émergence de nouveaux consommateurs de produits de luxe. En fait, la Chine devrait surpasser le Japon dans le segment des produits de luxe en Asie.

- Les HOMMES se bichonnent davantage qu'avant. Une petite crème ici, des boutons de manchette Paul Smith là... le métrosexuel aux poches profondes donne un coup de pouce à une industrie autrefois plus féminine. Gervais Lavoie, qui a lancé Fruits et Passion en Chine, a aussi vu cette tendance: «Il est courant de voir les hommes avec un (sac) Gucci ou un Louis Vuitton à l'épaule. La notion de prestige, en Chine du moins, n'est pas unisexe, mais autant les hommes que les femmes veulent affirmer qu'ils ont réussi dans la vie.»

Source: UBS, rapport de recherche sur l'industrie européenne du luxe, 23 novembre 2009.

----------------

8,6 millions de riches...

En 2008, il y avait sur la planète 8,6 millions de personnes avec plus d'un million US d'actifs liquides, donc de l'argent à dépenser. Un chiffre en forte baisse, puisque l'année précédente, ils étaient 10,1 millions.

... et 78 000 très riches

Dans la catégorie des très riches, il faut avoir 30 millions d'argent de poche. Ici aussi, l'année 2008 a été difficile, le nombre de très riches passant de 103 000 à 78 000 entre 2007 et 2008.

Source: World Health Report de Merrill Lynch et Cap Gemini, cité par UBS

----------------

 

Des titres européens qui remontent

Bulgari

Cours à la fermeture hier 5,95 euros

Croissance depuis janvier + 35%

Burberry

Cours à la fermeture hier

586 pence

Croissance depuis janvier + 164%

Dior

Cours à la fermeture hier 70 euros

Croissance depuis janvier "74%

LVMH

Cours à la fermeture hier 73,30 euros

Croissance depuis janvier + 53%

Richemont (Compagnie financière)

Cours à la fermeture hier 32,99 francs suisses

Croissance depuis janvier + 63%

Swatch

Cours à la fermeture hier 49,05 francs suisses

Croissance depuis janvier + 72%