Isolée parmi ses pairs, Radio-Canada a pris les grands moyens afin de convaincre le CRTC de lui accorder des redevances sur les revenus des abonnements du câble: comparer les câblodistributeurs aux pétrolières.

Durant son exposé hier matin devant le CRTC, Radio-Canada a fait valoir que les câblodistributeurs au pays ont une marge de profit plus élevée (25,3%,) que les pétrolières et les entreprises de gaz naturel (17,4%), selon les chiffres de Statistique Canada. «Il y a une perception que certaines industries au Canada font des marges de profit importantes. Cette industrie (les pétrolières) en est une. Lorsqu'on fait la comparaison, on constate que les câblos ont une marge de profit encore plus spectaculaire que les industries (les pétrolières) que vous pensez qui font déjà beaucoup d'argent», dit Hubert Lacroix, PDG de CBC/Radio-Canada.La comparaison fait sourire les dirigeants de Bell, qui disent avoir perdu 2,2 milliards de dollars avec la distribution télé par satellite (Bell Télé, anciennement ExpressVu) depuis sa création en 1997.

«Radio-Canada n'a pas inclus nos pertes comme distributeur de télé par satellite, et je ne serais pas surpris que les profits des câblos incluent leurs autres activités sur le câble comme la téléphonie et l'internet», dit Mirko Bibic, chef des affaires réglementaires de Bell. Vérification faite, les chiffres de Radio-Canada comprennent l'ensemble des profits des câblos, en incluant la téléphonie résidentielle et l'internet.

Durant leur présentation, les dirigeants de Radio-Canada ont tiré à boulets rouges sur le câblodistributeur Rogers, un concurrent de Bell qui a fait valoir son opposition à toute forme de redevances aux chaînes généralistes la veille devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC). «Rogers dit que le modèle des chaînes généralistes n'est pas brisé, mais les chaînes spécialisées de Rogers avait une marge de perte de 18% avant la récession», dit Hubert Lacroix.

La société d'État fédérale a rappelé au CRTC un vieux litige impliquant Rogers et iCraveTV, qui distribuait les signaux de Rogers - dont les chaînes généralistes - gratuitement sur l'internet. Rogers aurait fait valoir au tribunal américain que les pratiques de iCraveTV étaient illégales et diminuaient la valeur de ses services de câblodistribution. «En 2000, quand quelqu'un voulait prendre les signaux de Rogers et les distribuer au public sans faire payer d'accès, Rogers n'a eu aucune difficulté à trouver une valeur au signal de ses chaînes généralistes, dit Hubert Lacroix. Nous sommes confiants qu'avec un peu de réflexion, Rogers pourrait faire la même chose aujourd'hui.»

La réflexion de Radio-Canada, elle, est déjà complétée: les chaînes généralistes doivent obtenir leur juste part des revenus des abonnements du câble, d'abord par le biais de négociations puis d'un processus d'arbitrage au CRTC en cas d'échec des pourparlers. Radio-Canada fait valoir que les câblodistributeurs canadiens ont généré des profits de 2 milliards l'an dernier, contre 8 millions pour les chaînes généralistes privées. «Les chaînes généralistes sont de loin les plus populaires au Canada, dit Hubert Lacroix. Ça ne fait aucun sens que ces chaînes ne reçoivent aucune compensation pour ce qu'elles amènent au système télévisuel canadien (...) La solution est simple. Les stations de télévision locales devraient avoir accès aux revenus d'abonnement.»

Radio-Canada isolée

Dans ces audiences sur la question des redevances du câble, la société d'État fédérale se retrouve isolée. Les câblodistributeurs comme Rogers, Bell, Cogeco et Shaw et les chaînes spécialisées s'opposent à toute forme de redevance, alors que leurs concurrents généralistes au petit écran, Quebecor et V, ne veulent pas que Radio-Canada ait accès aux redevances en raison de son financement public.

Outre la question des redevances, Radio-Canada s'attaque à une autre chasse gardée des câblodistributeurs: la composition du câble. Radio-Canada suggère au CRTC d'instaurer un service de base moins cher que les offres actuelles des câblos. Ce service de base comprendrait toutes les chaînes généralistes et quelques chaînes spécialisées. Selon ce système, les consommateurs pourraient choisir chaque chaîne spécialisée individuellement, sans être obligée de payer pour un bouquet de chaînes. Ce système sera particulièrement avantageux pour les consommateurs qui écoutent encore la télé avec leurs «oreilles de lapin» (antennes hertziennes analogues), qui ne fonctionneront plus à compter de 2011.

L'exposé de Radio-Canada a impressionné certains des neuf commissaires du CRTC qui passeront l'automne à étudier la question des redevances du câble. «Votre présentation était excellente, elle résume bien la situation. C'est clair que votre problème n'est pas cyclique», dit le commissaire Timothy Denton.

Le grand patron de Radio-Canada, Hubert Lacroix, a toutefois eu droit à un contre-interrogatoire serré de Konrad von Finckenstein, un ancien juge de la Cour fédérale qui préside le CRTC depuis janvier 2007.

Le président du CRTC a notamment suggéré à Radio-Canada que leurs redevances soient la moitié de celles des chaînes généralistes privées, soit la proportion des revenus télé de Radio-Canada tirés de la publicité. Une idée rejetée par le PDG de Radio-Canada, Hubert Lacroix. «Nous sommes dans la même situation que les chaînes généralistes privées, dit-il. Nous voulons être compensés pour la valeur de notre signal dans le cadre d'une négociation. Nous ne voulons pas de traitement spécial, nous voulons être traités comme tout le monde.»

Malgré ses questions incisives, Konrad von Finckenstein s'est dit «impressionné» par la présentation «très claire» de Radio-Canada. Pour une deuxième journée consécutive, il a toutefois suggéré aux chaînes généralistes et aux câblos de s'entendre entre eux. «Je préférerais sanctionner une entente», dit-il.

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MARGE DE PROFIT

Câblodistributeurs 25,3%

Pétrolières et entreprises de gaz naturel 17,4%

Moyenne des entreprises canadiennes 8,7%

Entreprises manufacturières 6,3%

Note: Données fournies par Radio-Canada au CRTC

Source: Statistique Canada

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LE TOP 10 DES COTES D'ÉCOUTE

Marché francophone du Canada

- TVA 27,1%

- RADIO-CANADA18,4%

- V (TQS) 7,9%

- RDS 8,5%

- Télé payante 3,4%

- Séries+ 3,4%

- Canal D 2,6%

- Canal Vie 2,4%

- Télétoon 2,1%

- Z-Télé 1,9%

Note: Les chaînes généralistes sont indiquées en caractères gras.

Source: Données fournies par Radio-Canada au CRTC

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PROFITS

(en millions de dollars) 2003/ 2004 /2005 /2006 /2007 /2008

Chaînes généralistes privées: 299/ 233/ 242/ 91/ 113/ 8

Chaînes spécialisées: 285/ 414/ 556/ 573/ 648/ 686

Source: Données fournies par Radio-Canada au CRTC