Lorsqu'au calendrier, par un hasard de l'histoire, la crise économique internationale coïncide avec les élections municipales, les décideurs publics ou les dirigeants d'entreprise autant que le citoyen anonyme redécouvrent l'importance de l'initiative locale. Au Québec, hors de tout doute, la métropole économique, culturelle et symbolique, c'est Montréal. Si la vie politique semble parfois se jouer ailleurs, à Québec ou Ottawa, c'est encore aujourd'hui en faisant la promotion de Montréal et en participant à sa croissance que l'on contribuera à l'essor du Québec tout entier. Les participants et partenaires de notre école d'été en management de la création, dont cette chronique a parlé la semaine dernière, ont vécu une expérience forte, faite de rencontres de créateurs et de visites de lieux de création. Riches de ces inspirations, ils ont aussi planché sur des projets créatifs pour Montréal. Nous rapportons ici l'essentiel de ces contributions, en souhaitant qu'elles séduisent d'autres créateurs et attirent autant des entrepreneurs que des investisseurs.

Une première vague de projets a proposé de tirer profit de ce lien fort avec Barcelone, la métropole catalane, pour lancer des initiatives communes attrayantes: restaurant voué à la création gastronomique, avec échanges de chefs, explorant chacun les produits du terroir de l'autre, par exemple, dans l'esprit d'un «Montréal en lumière» à l'année. Ce projet profiterait aussi des technologies les plus récentes de présence simultanée, comme celles expérimentées à la S.A.T. ou chez Bell, pour organiser des soupers-présentations multimédias avec des Catalans à l'heure du lunch, ou des cours de cuisine en direct à grande distance.

Créativité «citoyenne»

Une deuxième vague très prometteuse a planché sur des projets qui gravitent autour d'une forme de créativité «citoyenne». Celle-ci vise à mobiliser la création comme levier du (re)développement social et économique local. Il s'agirait de réinvestir certains lieux délaissés, d'anciens cinémas, casernes ou autres (nombreux à Montréal), afin que chaque quartier (et en particulier les moins favorisés) bénéficie d'un incubateur et d'un tremplin pour la création. Ces lieux pourraient abriter des espaces d'expérimentations et de performances. En partie inspirés des «phares du savoir» de Curitiba, au Brésil, de tels lieux pourraient devenir des points de rencontre, de partage et de production entre créateurs en quête de partenaires. Surtout, jeunes et moins jeunes créateurs pourraient trouver en ces lieux de référence l'appui de créateurs et d'entrepreneurs expérimentés, qui consacreraient un peu de leur temps chaque semaine à ces activités de parrainage, de consolidation et d'accompagnement (faisant du même coup acte de dépistage). Si les idées ne manquent pas, en particulier au sein des nouvelles générations, la capacité à les traduire en projets concrets et à les rendre «présentables» à d'éventuels investisseurs est beaucoup plus rare, et relève largement de l'expérience et des réseaux personnels. Soutenus par les institutions publiques et privées, mis en réseau, animés et promus par des technologies du type web 2.0, ces pôles de création nécessiteraient au final des ressources relativement limitées et pourraient apporter un effet de levier puissant au développement créatif de la métropole.

Financement

Finalement, ces projets révèlent aussi l'urgence d'explorer de nouvelles approches de financement véritablement adaptées aux différents modes de la création, en particulier en amont. En effet, les universités financent majoritairement les recherches disciplinaires de chercheurs établis; les soutiens publics à l'innovation offrent des crédits d'impôt, ce qui suppose la mobilisation d'un certain capital de départ et un dossier commercial bien établi, comme l'attendent aussi les banques ou le capital de risque. Ils se fondent sur du potentiel prouvé et du capital déjà acquis, qu'il soit économique, de réputation ou d'expérience. De fait, ils accordent peu de crédit aux étapes d'exploration et de consolidation des idées non instituées, en amont de toute démarche entrepreneuriale. Or, dans le cas de projets hybrides et collectifs dans des domaines émergents, de l'ordre de la créativité citoyenne par exemple, ou non solvables à court terme, avec des créateurs qui en sont à leurs premières armes, les grilles d'analyse des organismes subventionnaires, des ministères, des banques ou du capital de risque ne peuvent s'appliquer. Une approche de pépinière ouverte serait à privilégier, afin d'offrir aux créateurs un appui qui leur permettrait de travailler leurs idées jusqu'à une première validation. Cette étape, à laquelle les créateurs et leurs idées sont les plus vulnérables, pourrait être accompagnée d'«anges», comme le proposent certains de nos partenaires européens, dont le rôle serait de mobiliser non pas leur capital économique, mais leurs connaissances et contacts afin de tester et valider ces idées. Les idées ainsi mûries seraient plus aptes à passer le test des premières rondes d'investissement.

Au cours de l'année, Mosaic se propose d'explorer ces réflexions et d'accompagner ces projets, en mobilisant ses partenaires et son réseau, mais aussi en ouvrant des forums et en organisant des activités entourant ces initiatives.

Laurent Simon est professeur agrégé au service de l'enseignement du management. Patrick Cohendet est professeur visiteur au service de l'enseignement des affaires internationales.

Laurent Simon et Patrick Cohendet

HEC Montréal