Des studios de jeux vidéo dont les créations se vendent déjà partout dans le monde. Des centaines d'infographistes et de programmeurs de talent dont les salaires sont subventionnés au tiers par des crédits d'impôt de Québec.

Et pourtant, malgré le succès de leur implantation à Montréal depuis 10 ans, les grands producteurs de jeux vidéo comme Ubisoft et Electronic Arts (EA) boudent largement les compositeurs et musiciens d'ici pour garnir les trames sonores de leurs jeux produits à Montréal.

La conséquence, déplorent les représentants du milieu musical, c'est que l'un des secteurs les plus dynamiques et lucratifs du marché mondial du divertissement audio-visuel est en train d'échapper aux compositeurs et musiciens québécois.

«Presque tout le contenu musical des jeux vidéo conçus par les grands studios à Montréal se fait encore ailleurs, aux États-Unis surtout. Pourtant, il y a ici tous les talents et l'infrastructure nécessaire pour créer et produire du contenu musical en audio-visuel», souligne Mylène Cyr, directrice générale de la Guilde des musiciens du Québec, qui regroupent 3000 membres.

À la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec, qui compte 520 artistes, le directeur général, Jean-Christian Céré, est encore plus critique.

«Ces grands studios de jeux vidéo se sont implantés ici avec de généreux crédits d'impôt, dont ils profitent encore. Ç'a bien fonctionné pour développer ce secteur de création numérique à Montréal. Mais là, il faudrait que les créateurs musicaux d'ici puissent aussi profiter de cet essor. Et ce n'est pas par manque de talents ou de compétences, loin de là.»

Par ailleurs, au cabinet de la ministre québécoise de la Culture, Christine St-Pierre, on confirme avoir été informé récemment de cette situation par les représentants du milieu musical.

«Le secteur des jeux vidéo est en pleine expansion au Québec. Mais c'est encore un défi pour ces entreprises de recourir davantage à du contenu musical d'origine québécoise pour leurs trames sonores», a indiqué l'attachée de presse du ministre, Valérie Rodrigue.

Entre-temps, tant la Guilde des musiciens que la Société des auteurs et compositeurs (SPACQ) disent vouloir accentuer leurs pressions sur des entreprises comme Ubisoft et EA.

«C'est l'une de nos priorités de l'automne, pour donner suite à nos premières discussions de l'an dernier», a confié M. Céré, de la SPACQ.

Aussi, ces deux organismes préparent une mini-conférence spéciale pour leurs membres sur le marché de jeux vidéo à l'occasion de la Journée internationale de la musique, le 1er octobre prochain.

De plus, la Guilde et la SPACQ envisagent de faire connaître leurs doléances au Sommet international des jeux vidéo de la mi-novembre, dans un grand hôtel du centre-ville de Montréal.

Entre-temps, chez les deux plus gros studios de jeux vidéo à Montréal, Ubisoft, d'origine française, et Electronic Arts (EA), d'origine américaine, les dirigeants déclinent tout commentaire de vive voix aux doléances du milieu musical à leur égard.

Tout au plus, chez EA, on confirme que tout le contenu musical de son catalogue de jeux vidéo est géré par une division établie à Los Angeles: Worldwide Music Group.

Cette division fonctionne entièrement en sous-traitance avec des fournisseurs américains surtout, au lieu de services créatifs à l'interne comme pour les logiciels de jeux.

Par conséquent, aux studios d'EA de Place Ville-Marie à Montréal, tout le contenu musical de la demi-douzaine de jeux produits depuis l'implantation en 2004 est d'origine américaine.

Chez le concurrent Ubisoft, c'est par un bref courriel qu'on a répondu aux questions de La Presse Affaires sur l'origine du contenu musical des jeux produits aux importants studios du boulevard Saint-Laurent.

«Ubisoft travaille avec divers producteurs, certains locaux, d'autres internationaux. Nous avons travaillé avec plusieurs compositeurs montréalais et québécois depuis 1997», selon Cédric Orvoine, porte-parole d'entreprise.

Pourtant, une liste acheminée à La Presse Affaires par un observateur du secteur des jeux suggère que parmi la quinzaine de jeux produits par Ubisoft à Montréal depuis 10 ans, toutes les trames musicales provenaient de sous-traitants à Los Angeles.

Pourquoi cette préférence californienne?

Le directeur général de la Société des auteurs et compositeurs, M. Céré, considère une explication surtout juridique et financière.

«Aux États-Unis, la législation des droits d'auteur est beaucoup plus clémente envers les producteurs qu'au Canada. En bref, les droits d'auteur en musique aux États-Unis appartiennent d'abord à l'employeur des artistes. Ainsi, à moins d'entente spéciale, les auteurs musicaux sous contrat aux États-Unis n'ont pas les droits de suite de leur création, comme au Canada», explique M. Céré.

Par conséquent, les suites financières d'un tel cadre juridique aux États-Unis avantageraient les producteurs audio-visuels, les jeux vidéo le cas échéant, au détriment de leurs fournisseurs musicaux.

«Ce contexte américain fait que, même si un jeu vidéo est un gros succès à des millions d'exemplaires, les concepteurs de son contenu musical n'en profitent pas en surplus de leur cachet initial.»