Quelque part sur la Lune, personne ne sait exactement où, se trouvent les restes des six modules ayant transporté l'Homme sur le plus lointain sol sur lequel il a posé le pied. À six endroits se trouvent donc des pièces qui ont terminé leur vie utile sur le sol lunaire, mais qui l'avaient commencée sur la rive sud de Montréal, dans les locaux de l'entreprise longueuilloise Héroux.

Il s'agissait du contrat le plus prestigieux de Héroux : construire le train d'alunissage du module lunaire du programme Apollo. En d'autres mots, les pattes et les pieds qui allaient permettre aux astronautes de se poser en douceur sur la Lune. Un contrat qui rejaillit encore sur la société, devenue aujourd'hui Héroux-Devtek. «Pour la compagnie, c'était quelque chose de merveilleux», se souvient Maurice Lapointe, 86 ans, qui a travaillé toute sa carrière chez Héroux.

Gilles Labbé, président et chef de la direction de Héroux-Devtek n'était encore qu'au début de l'adolescence au moment où Neil Armstrong est entré dans l'Histoire, mais il perçoit encore aujourd'hui l'intérêt des gens pour ce contrat qui date de plus de 40 ans. «On a encore exposé une réplique des pieds du module au dernier salon du Bourget à Paris, dit-il. C'est une pièce unique.»

Pas de marge d'erreur

Maurice Lapointe se rappelle bien du travail effectué sur ces pièces uniques, des pattes télescopiques avec amortisseurs d'environ huit pouces de diamètre.

Héroux avait obtenu le contrat de Grumman, un fabricant d'avions de New York, grâce aux efforts du vice-président marketing de l'époque, Lionel Whyte. On avait fait parvenir à l'équipe de production, dirigée par Fernand Michon, les dessins du module.

Gaston Bernier, 74 ans, était inspecteur chez Héroux à cette époque. C'est lui qui était en charge de l'inspection finale des pièces. «Les exigences étaient élevées, la tolérance n'était pas forte», dit-il.

Le principal problème est survenu quand l'équipe s'est rendue compte que la pièce devenait ovale durant sa fabrication, alors qu'elle devait être parfaitement ronde.

«On a trouvé une vieille machine ailleurs, et on l'a modifié pour faire ce qu'on voulait faire», dit Maurice Lapointe. «Tout était fait avec de la vieille machinerie, ajoute-t-il. On travaillait avec rien. Pour le temps, avec les moyens qu'on avait, c'était très bon.»

Héroux a livré 17 ensembles de quatre pattes à Grumman, le dernier à l'été 1967. Le contrat avait une valeur de 340 000 $, soit l'équivalent de 2 millions de dollars en 2009.

Fierté et rayonnement

Deux ans plus tard, les pieds se posaient sur la Lune. Maurice Lapointe faisait partie de ceux qui connaissaient dès le départ la destination finale des pièces. «On nous avait dit que c'était pour la Lune, mais ça ne nous faisait pas grand-chose au moment de le fabriquer. Deux ans plus tard, on avait quasiment oublié ça!».

Tant M. Bernier que M. Lapointe restent bien humbles malgré leur participation, certes indirecte, à la course à la Lune. «Nos pièces sont montées sur la Lune, mais nous, nous sommes restés en bas», lance Maurice Lapointe en riant. Reste quand même une certaine fierté, concède-t-il.

Pour Héroux, ce contrat, renforcé à grands coups de publicité, a fourni un très grand rayonnement en Amérique du Nord. «Ç'a permis à Héroux de pénétrer plus efficacement l'industrie américaine de l'aviation», dit Gilles Labbé.

En 1970, alors même que les missions lunaires se succèdent, Héroux obtient son premier grand contrat pour l'entretien de trains d'atterrissage pour les avions militaires américains, un contrat toujours effectif aujourd'hui.

De nos jours, Héroux-Devtek continue d'être très active dans le domaine spatial. En tant que sous-traitant, l'entreprise a notamment fabriqué plusieurs composantes du bras canadien. Le chiffre d'affaires était de 338 millions l'an dernier, contre moins de 10 millions dans les années 60.