Pour la première fois en plus d'un siècle et demi, la production des États-Unis, des 27 pays de l'Union européenne et du Canada représentera moins de la moitié de la production mondiale cette année.

Il s'agit d'un fait décisif qui représente une belle occasion pour le Canada de tirer parti de la montée en puissance des économies émergentes.

Cette fatalité survient six ans plus tôt que ne le croyait encore l'an dernier le Centre for Economics and Business Research (CEBR). L'organisme de recherche indépendant britannique attribue le devancement de ce tournant aux effets de la récession présente qui frappe davantage les économies industrialisées.

«Les États-Unis ne pourront plus dominer seuls le monde, affirme en entrevue au téléphone depuis Londres Jorg Radeke, économiste au CEBR. Les économies émergentes comme la Chine joueront un rôle de plus en plus important.»

Le CEBR constate d'ailleurs que c'est cette année même que l'empire du Milieu supplante celui du Soleil-Levant au deuxième rang des puissances économiques. Le Japon est l'économie industrialisée la plus frappée par la récession actuelle avec deux plongées successives de plus de 10% de son produit intérieur brut (PIB) réel en rythme annualisé. Bien que ralentie, l'expansion de l'économie chinoise se poursuit.

Le déclin de l'Occident va se poursuivre au cours des prochaines années. Il ne représentera plus que 45% de la taille de l'économie mondiale dans trois ans, prévoit aussi le CEBR.

«Ce qui explique ce revirement plus rapide, poursuit M. Radeke, c'est la vitesse avec laquelle la Chine se rétablit. Cela va stimuler les prix du pétrole et des produits de base.»

La place grandissante sur l'échiquier économique mondial occupée par le bloc des quatre puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde et Chine (BRIC)) se fait déjà sentir, renchérit Vincent Delisle, stratège chez Scotia Capitaux. «La récession a frappé les économies industrialisées de manière synchronisée, mais on a sous-estimé que le BRIC est en train de stabiliser les choses et de la raccourcir.»

Ce nouvel équilibre mondial amènera petit à petit les gestionnaires de capitaux à détenir relativement moins de titres et de dollars américains. «Si le billet vert est toujours utilisé dans plus de 75% des échanges de marchandises, les États-Unis ne sont partie prenante de la transaction que dans moins de 25% des cas», souligne François Barrière, vice-président, développement des affaires, marchés internationaux, à la Banque Laurentienne.

Bref, la donne a beau changer, le billet vert servira de monnaie mondiale pendant encore un bon moment. Plus il faiblira toutefois et plus les prix des produits de base vont grimper pour que les pays producteurs puissent garder leurs marges de profit, prévoit-il.

En réalignant la composition de leurs portefeuilles, les gestionnaires devront tenir compte des puissances qui risquent de sortir gagnantes de la dynamique qui commence. M. Delisle pense avant tout au Brésil et au Canada.

«Le Canada offre le meilleur de trois mondes, explique-t-il. C'est une économie développée forte, encore bien branchée sur le consommateur américain et un grand producteur de ressources. En outre, le Canada va se relever de la récession encore plus vite que les autres.»

Et au sein du Canada, le Québec s'en tire encore mieux, ajoute-t-il.

Voilà pourquoi il recommande aux gestionnaires de détenir plus de titres canadiens que notre poids économique relatif. Dans l'indice mondial de référence de Morgan Stanley, le Canada pèse 4%. M. Delisle suggère plutôt une pondération de 6%.

Le Canada a quand même un défi économique à relever. Son commerce mondial dépend encore trop de ses rapports avec les États-Unis qui en absorbent les trois quarts. Il doit profiter davantage de l'essor du BRIC, qui devient le moteur de la croissance mondiale de la prochaine reprise.

«C'est sûrement un plus que de ne pas se reposer sur une seule région», dit M. Radeke.