Le lauréat du Prix Nobel d'économie en 1995 prononcera l'allocution d'ouverture du 34e Congrès de l'Association des économistes québécois (ASDEQ), demain matin. C'est à ce titre que La Presse a pu s'entretenir quelques minutes avec lui par téléphone depuis ses bureaux à l'Université de Chicago.

Avant longtemps, la résurgence de l'inflation représentera un véritable défi pour les autorités politiques américaines, affairées à extirper les États-Unis de la très grave récession présente. «La masse monétaire gonfle trop vite, observe Robert E. Lucas. Techniquement, ce n'est pas un problème difficile à régler, mais sur le plan politique, c'est peut-être autre chose.»  

La politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) agit sur l'économie avec un délai de huit à douze mois. Pour lutter efficacement contre une remontée de l'inflation à des niveaux inconfortables de 3 ou 4%, la Fed (ou toute autre banque centrale) devra se remettre à remonter les taux d'intérêt, alors que le nombre de chômeurs continue d'augmenter quelque peu.

Cela n'aura pas l'heur de plaire à la classe politique.

M. Lucas n'est pas seul à penser de la sorte. Il ne veut cependant se risquer à aucune prévision sur le moment où la Fed devra se remettre à resserrer le crédit. «La science économique est plutôt pauvre en matière de pronostics.»

Il fait cependant confiance au président de la Fed, Ben S. Bernanke, «un des économistes les plus réputés et les plus respectés de la profession».

Il approuve entièrement l'injection massive de liquidités orchestrée par la Fed pour dégeler les marchés du crédit, même s'il faudra bien éponger avant que se manifestent les risques de relance d'inflation. «M. Bernanke a très bien compris ce que signifie être le prêteur de dernier ressort.»

Quelques réserves

Il émet toutefois quelques réserves sur sa conduite et celle de la Maison-Blanche dans le sauvetage à la pièce de quelques institutions financières. «Je n'aime pas l'idée qu'on décide qui est trop payé et qui ne l'est pas», explique l'économiste dont l'apport à la théorie macroéconomique porte justement sur l'étude des anticipations rationnelles des agents économiques. À son avis, la crise présente, qui tire son origine dans le système financier américain, tient en partie à une réglementation déficiente.

M. Lucas ne prône pas forcément un resserrement des normes, mais plutôt leur uniformisation. «On ne devrait pas pouvoir contourner une réglementation simplement en changeant de nom», résume-t-il. Il fait particulièrement allusion au fait que des banques d'investissement ont pu se livrer à des prêts à vue sans supervision, alors que cette activité aurait dû être réservée aux banques commerciales, c'est-à-dire celles qui ont des activités de dépôts et qui sont surveillées par la Fed. (Depuis la crise, les cinq grandes banques d'investissement sont soient disparues (Lehman Brothers), soient absorbées (Bear Stearn par JP Morgan, Merrill Lynch par Bank of America) soient devenues des banques commerciales (Goldman Sachs et Morgan Stanley).)

Une réforme coûteuse

Le plan de relance de la Maison-Blanche l'enthousiasme peu. Admettant d'emblée que Barack Obama n'était pas son choix, il craint que la réforme du système de santé soit trop onéreuse.

Il souhaite surtout que le resserrement du filet de sécurité pour les personnes qui n'ont pas de régime d'assurances collectives privées lié à leur emploi ne se fasse pas au détriment de ceux qui en ont un, comme c'est le cas pour la majorité de la classe moyenne.

«Je veux pouvoir consulter le médecin de mon choix, ce que me permet de faire le régime que j'ai en tant que professeur titulaire de l'Université de Chicago.»

L'ampleur des déficits prochains l'inquiète tout autant, car les exercices de compressions sont toujours laborieux. «Le potentiel de croissance dans les économies où les impôts sont élevés est moins grand», prévient-il tout en préconisant des taxes sur la consommation plutôt que des impôts sur le revenu s'il faut faire face à ce mal nécessaire.