Réduit au rang de spectateur impuissant, le continent africain voit l'onde de choc de la crise économique née en Occident se rapprocher dangereusement, entamant ses perspectives de croissance et menaçant la lutte contre la pauvreté.

Faiblement intégrée au système financier global, l'Afrique n'a dans l'ensemble «pratiquement pas été touchée» par la dimension purement bancaire de la crise, analyse David Khouddour, du Centre d'études prospectives et d'informations internationales à Paris.

Mais la donne a changé avec la propagation du tumulte dans l'économie réelle.

«Il y a des secteurs en Afrique qui sont déjà réellement abattus par la crise avec des conséquences sur le budget des États», affirme Léonce Ndikumana, directeur de recherche à la Banque africaine de développement à Tunis.

«Les pays qui avaient connu un boom grâce à l'envolée des prix du pétrole (Angola, Nigeria, Algérie) ou des matières premières (cuivre en Zambie et en RDCongo) sont frappés de plein fouet par la baisse de la demande mondiale et l'effondrement des cours», ajoute Gilles Carbonnier, de l'Institut des Hautes études internationales et de développement à Genève.

Du coup, les perspectives s'assombrissent. Après avoir crû de 5,2% en 2008, le produit intérieur brut africain ne devrait plus progresser que de 2,0% cette année et de 3,9% en 2010, selon les estimations du FMI publiées mercredi.

D'autres nuages noirs guettent le continent.

Les travailleurs migrants africains, touchés par l'explosion du chômage dans leur État d'expatriation, devraient réduire leurs transferts d'argent vers leur pays d'origine, estiment les experts.

L'agence Standard and Poor's prévoit une baisse de ces transferts «comprise entre 5% et 10%» en 2009 pour la Tunisie, l'Egypte, le Liban, la Jordanie et le Maroc.

Or «ces transferts représentent une source très importante de devises dans plusieurs pays du Maghreb», commente M. Khouddour.

L'aide au développement pourrait également pâtir de la crise. «Maintenant que les pays européens voient leurs déficits exploser, il existe des craintes sérieuses qu'ils réduisent leur aide au développement», s'inquiète Mahamat Abdoulahi, directeur à la Commission économique pour l'Afrique, organisme rattaché à l'ONU à Addis Abeba.

«Les partenaires de l'Afrique sont responsables de la crise et à ce titre doivent maintenir leur aide», commente M. Ndikumana.

Lors du sommet de Londres, les pays du G20 ont notamment annoncé le déblocage de 6 milliards de dollars sous forme de prêts pour les pays pauvres et le triplement des ressources du FMI afin qu'il vienne en aide aux États étranglés par la crise.

L'Organisation non gouvernementale (ONG) One estime toutefois que les conditions de versement de ces fonds «restent obscures».

L'enjeu est crucial: une réduction de l'aide couplée à la baisse de la croissance «pourraient priver les États africains des moyens de lutter contre la pauvreté» et pourraient déboucher sur «une crise humanitaire», prévient M. Abdoulahi.

Circonstance aggravante, les pays africains ont «beaucoup plus difficilement accès aux capitaux», l'aversion au risque conduisant les investisseurs à «préférer des obligations émises par des États réputés plus solides comme les États-Unis», relève. M. Carbonnier.

Des motifs d'optimisme subsistent. Chef du bureau Afrique-Moyen Orient à l'OCDE, José Giron juge que l'Afrique est «bien mieux armée aujourd'hui» que lors des précédentes crises, beaucoup de pays disposant d'une «importante marge d'endettement».

Surtout, l'explosion des échanges commerciaux avec la Chine et, dans une moindre mesure avec l'Inde, rend «l'Afrique moins dépendante des pays occidentaux et lui offre des débouchés dans des pays qui ne sont pas en récession».