Pour la première fois en 55 ans, le taux annuel d'inflation était négatif le mois dernier aux États-Unis. Cette situation devrait durer encore plusieurs mois, mais le spectre de la déflation, caractérisée par une baisse générale des prix, ne montre pas encore son ombre.

Bon nombre d'experts s'attendaient à un recul de l'indice des prix à la consommation susceptible de pousser sous zéro le taux annuel d'inflation au cours du printemps ou de l'été. C'est arrivé dès mars avec un repli mensuel de 0,1% poussant le taux annuel d'inflation à -0,4%. La baisse a été aiguillonnée par un nouveau recul de 4% des prix à la pompe. En un an, la valeur marchande de l'essence a diminué de 39,3% et devrait poursuivre sa chute jusqu'en juillet.

 

«On peut qualifier cette situation de déflation, mais elle n'est toutefois pas généralisée: la baisse de l'IPC sur 12 mois provient exclusivement d'une chute de 23% des prix de l'énergie alors que les prix des aliments sont en hausse de 4,4%», souligne Francis Généreux, économiste principal chez Desjardins.

Si on exclut les prix des aliments et de l'énergie, le taux annuel d'inflation reste à 1,8%. Pour le troisième mois d'affilée, l'inflation de base progressait de 0,2% en mars. Les produits du tabac, les véhicules neufs (pour le troisième mois d'affilée malgré les promotions) ainsi qu'une bonne gamme de services sont responsables de la hausse.

En revanche, le prix des aliments, du logement, des vêtements, du transport et des tarifs aériens ont diminué de février à mars.

Cette situation va perdurer encore quelques mois et ranimer chez certains les craintes de déflation. «Elles seront contenues compte tenu des stimuli fiscaux massifs qui entrent en action aux États-Unis et des mesures de monétisation prises par la Réserve fédérale», rassure Krishen Rangasamy, économiste chez CIBC.

Heureusement, car la faible consommation des ménages affaiblit le pouvoir des fabricants de majorer leurs prix, ce qui pousse les consommateurs à décaler leurs achats dans l'espoir qu'ils payeront moins cher plus tard.

Ainsi tourne la vrille déflationniste.

On n'en est pas là encore, comme en font foi les données des ventes au détail réelles en mars. En valeur, elles ont reculé de 1,1%, mais en volume elles se sont aussi repliées de 1,0%. Le repli n'est donc pas tant affaire de baisse des prix que de consommation ralentie.

D'ailleurs, la Réserve fédérale a aussi annoncé hier que la production industrielle avait reculé pour le cinquième mois d'affilée en mars, car les entreprises poursuivent leur déstockage.

Plongeon

En un an, la production industrielle a plongé de 12,7%. «C'est la pire baisse annuelle (battez le tambour, ça le vaut!) en 63 ans», déplore Jennifer Lee, économiste chez BMO marchés des capitaux. Elle était en mars à son niveau le plus faible depuis 1998. Ce sont les producteurs de biens de consommation et d'équipement destiné aux entreprises qui ont le plus sabré leur production.

Plus inquiétant encore, le taux d'utilisation des capacités manufacturières, minières et énergétiques est tombé à 69,3% seulement. Il s'agit du point abyssal de cette série statistique débutée en 1967.

Dans pareil contexte, les prix sont appelés à rester faibles longtemps. Toute tentative de les augmenter peut signifier pour l'initiateur la perte d'une part de marché au profit d'un concurrent qui n'aura qu'à remettre en marche des capacités de production inutilisées pour s'en emparer.

Mince consolation, l'indice Empire State de la Réserve de New York, publié aussi hier, indiquait que la dégradation de la situation industrielle décélérait ce mois-ci. En mars, il avait touché son point le plus bas depuis sa création en 2002.

Cela laisse entrevoir que la décroissance devrait se poursuivre encore au printemps, mais à un rythme beaucoup moins soutenu. Durant l'automne, l'économie a reculé de 6,3% en chiffres annualisés. Au premier trimestre, la contraction aurait atteint 5,7%, selon les plus récentes projections de Goldman Sachs.

La mesure de l'indice Empire State prise plus tôt ce mois-ci correspond avec les grandes lignes du livre beige de la Fed aussi diffusé hier. Ainsi, 5 des 12 régions observées rapportent un ralentissement de la contraction ou voient une stabilisation de l'activité économique à son creux. Ces cinq régions sont San Fransisco, New York, Chicago Kansas City et Dallas.

L'activité restait déprimée dans l'immobilier résidentiel et la production en usine et rares sont les intentions d'embaucher. «En somme, l'économie américaine est encore pas mal affaiblie, sans nier pour autant quelques signes d'amélioration dans les récentes données», résume Ian Pollock, économiste chez TD Valeurs mobilières.