Les analystes financiers qui, comme bien des gens, n'ont pas pu prédire la crise financière, doivent améliorer leurs pratiques, a soutenu mardi Tullio Cedraschi, maître du placement et ancien PDG de la division des investissements du Canadien National (T.CNR).

«Ne le dites à personne, mais peut-être avons-nous été trop occupés à vendre ces produits (financiers) qu'à les analyser», a lancé M. Cedraschi lors d'un discours prononcé à la tribune de l'Association CFA Montréal, un regroupement d'analystes financiers.

Bien sûr, ce ne sont pas les analystes qui ont causé la débâcle financière des derniers mois. Mais en faisant mieux leur travail, ils pourraient diminuer les risques de sombrer dans une nouvelle crise, a souligné le conférencier.

Les analystes financiers travaillent pour les courtiers en valeurs mobilières, les institutions financières, les grandes entreprises et les caisses de retraite. Leur rôle est d'examiner de manière indépendante les différentes possibilités de placements - actions, obligations, produits dérivés et structurés, investissements immobiliers - pour le bénéfice de leurs clients.

L'une des leçons qu'il faut tirer de la crise, c'est que les analystes doivent se montrer encore plus sceptiques face à ce qu'on leur présente, a affirmé Tullio Cedraschi.

«Un analyste critique aurait dû confronter la Caisse de dépôt et placement du Québec» au sujet des milliards de dollars investis dans du papier commercial adossé à des actifs (PCAA), a-t-il illustré.

«Un analyste critique n'aurait pas passé plus d'une heure à parler à Bernie Madoff (le fraudeur financier américain)», a-t-il renchéri.

L'analyse financière est une profession noble, a rappelé M. Cedraschi. «Nous avons un plus grand rôle à jouer pour protéger nos clients du type de spéculation exagérée que nous avons vue.»

Attention à la diversification

L'expert a mis en garde contre plusieurs idées reçues populaires dans les milieux financiers, par exemple la valeur démesurée et arbitraire attribuée à des actifs et la «foi aveugle» en la diversification.

«Cette théorie n'a pas fonctionné, a-t-il relevé. (...) En fait, il est devenu évident qu'en détenant seulement 50 titres hypothécaires, cela peut être plus facile à démêler que d'en posséder 1000.» Il faisait allusion aux produits comme le PCAA, qui sont devenus illiquides du fait qu'ils contenaient de nombreuses petites participations, mais difficiles à circonscrire, dans des hypothèques à risque.

Tullio Cedraschi s'est prononcé en faveur de l'assouplissement annoncé, aux États-Unis, des règles comptables qui obligent les institutions financières à inscrire à leurs livres la juste valeur marchande de leurs actifs, même si ces derniers ne sont pas vendus. Au cours des derniers mois, plusieurs entreprises ont dû essuyer des pertes massives après avoir inscrit d'importantes dépréciations d'actifs qu'ils n'avaient pourtant pas liquidés.

Sans condamner entièrement l'existence des fonds spéculatifs, M. Cedraschi a tout de même estimé que les rémunérations de plusieurs centaines de millions de dollars versés à certains de leurs gestionnaires étaient «excessives». Les émoluments les plus élevés équivalaient à 10 000 fois le salaire d'une infirmière, a-t-il déploré.

Le conférencier s'est néanmoins dit «très optimiste» pour l'avenir. Non seulement le capitalisme survivra-t-il à la crise actuelle, mais il apportera «une grande prospérité» à l'ensemble du monde, a-t-il prédit.

En investissant à long terme, Tullio Cedraschi et son équipe ont obtenu de façon soutenue «des rendements supérieurs» au bénéfice de la caisse de retraite du CN, avait mentionné le président du conseil d'administration du géant ferroviaire montréalais, David McLean, lors de l'annonce du départ à la retraite du gestionnaire, en février 2008.

Après s'être joint à la division des investissements du CN en 1968 à titre d'analyste financier, M. Cedraschi en est devenu le grand patron en 1977.

Le Montréalais de 70 ans siège au conseil du Groupe TMX, anciennement le Groupe TSX, depuis 2001.