En collaboration avec HEC Montréal, nous publions notre chronique hebdomadaire sur les défis auxquels font face les entreprises au plan de la gestion.

En lisant le journal ces temps-ci, on constate que les nouvelles sont rarement bonnes. Les ventes des entreprises diminuent; les profits aussi. La direction de ces entreprises se trouve face à des choix difficiles: On fait des mises à pied? On sabre dans les opérations? On met les projets d'investissement sur la glace? La question se pose aussi face aux investissements de nature technologique, ces projets qui ont la double caractéristique de nécessiter des investissements importants, mais aussi de laisser espérer une augmentation des ventes ou une diminution des coûts, ou les deux. Est-ce le temps d'investir dans les technologies de l'information (TI)?

 

La réponse n'est pas si simple. Les études montrent que les organisations qui génèrent le plus de valeur à partir de leurs investissements TI sont celles qui font de ces projets un moyen de réalisation de leur stratégie d'affaires. À ce moment-ci, la décision d'investir en TI est donc le moment privilégié, pour les entreprises, de réfléchir à ce qu'elles sont et à ce qu'elles veulent devenir et d'entamer une réflexion sur la manière dont les TI pourraient les aider à atteindre ce but.

L'autre fait inéluctable est que les TI par elles-mêmes sont rarement source de valeur. La valeur ajoutée provient des changements aux processus d'affaires qui vont de pair avec leur implantation. Déployer la dernière nouveauté technologique n'aura que peu de valeur ajoutée si cette implantation n'est pas accompagnée d'une réflexion sur la façon d'optimiser les processus d'affaires touchés. Automatiser des processus d'affaires inefficaces ne les rendra jamais efficaces.

Réaliser une réflexion de fond

Cette réflexion de fond permettra d'identifier des technologies qui pourraient appuyer la stratégie et/ou changer fondamentalement les façons de faire de l'entreprise, ce qui pourrait avoir un effet à la hausse sur les ventes et/ou à la baisse sur les coûts d'exploitation. C'est à ce moment que le dossier de justification (business case) devient l'élément-clé. Alors qu'il prend parfois l'allure d'une liste des coûts d'un projet, sa richesse réside plutôt dans une analyse approfondie de la valeur ajoutée de l'investissement.

Que doit faire le gestionnaire devant un dossier de justification qui montre noir sur blanc la rentabilité d'un investissement TI? Il doit tout de suite en éplucher les détails afin d'analyser la plausibilité des hypothèses qui le sous-tendent. On a malheureusement tendance à y surestimer les bénéfices et à y sous-estimer les coûts.

Le gestionnaire avisé se doit de poser les bonnes questions: comment a-t-on évalué les bénéfices attendus? Comment a-t-on évalué les bénéfices intangibles? Quelles sont les hypothèses qui sous-tendent la réalisation de ces bénéfices?

Pour ce qui est des coûts, il faut comptabiliser l'ensemble des coûts, ce qu'on appelle le coût total de possession, à travers le cycle de vie de la nouvelle technologie, du projet jusqu'à sa mise au rancart. Attention aussi à la comptabilisation des coûts cachés. Quand vos employés sont en formation ou qu'ils participent à la documentation des processus, ils ne sont pas en train de prendre des commandes ou d'encaisser les chèques.

Outre l'évaluation des bénéfices et des coûts, il faut porter une attention particulière aux techniques d'évaluation financière utilisées. Quelles sont les limites de l'outil utilisé? Quel taux a-t-on choisi d'utiliser pour l'actualisation des flux de trésorerie? À quelle valeur d'étalonnage en compare-t-on le résultat pour en venir à la conclusion que ce projet est rentable?

En ces temps de grande incertitude, il est hautement recommandé de faire l'analyse de différents scénarios afin de voir si de possibles changements aux hypothèses posées affectent la décision finale. Si les taux d'intérêt montent ou baissent, quelle incidence cela a-t-il sur la rentabilité du projet? Si le nouveau projet d'implantation d'un CRM, par exemple, permet une augmentation des ventes de 3% au lieu des 6% projetés, quel effet cela a-t-il sur la décision d'aller de l'avant avec le projet?

Finalement, ce n'est pas parce qu'elle veut profiter au plus vite des bénéfices attendus que l'entreprise doit se laisser prendre au piège d'un échéancier d'implantation irréaliste. Il vaut mieux dès le départ avoir un échéancier réaliste que de se faire happer par un mouvement trop rapide qui générera problèmes et coûts additionnels en une spirale sans fin.

Investir dans les TI en ces temps difficiles? La réponse est oui, si les outils d'analyse utilisés avec toute la rigueur possible démontrent la valeur ajoutée pour les affaires. Si les hypothèses faites dans un bon dossier de justification sont réalistes et bien appuyées, si l'échéancier est réaliste, si on comprend les limites des outils d'analyse utilisés et si l'analyse montre un manque de sensibilité à des éléments volatils, alors on y va. Sinon, on résiste.

Line Dubé est professeure titulaire au Service de l'enseignement des TI à HEC Montréal. Alix Mandron est professeure titulaire au Service de l'enseignement de la finance à HEC Montréal.