En reconnaissant que son prochain budget sera déficitaire, la ministre des Finances Monique Jérôme-Forget ne fait que constater que le Québec n'est pas une société distincte, à ce chapitre du moins.

Même les finances publiques de la richissime Alberta vont sans doute plonger de plusieurs milliards dans le rouge.

Robert Kavcic, économiste chez BMO Marchés des capitaux, a comparé les hypothèses utilisées dans la préparation des budgets des trois provinces canadiennes les plus occidentales avec les prix du marché.

 

Ainsi, l'Alberta faisait l'hypothèse d'un prix moyen du baril de pétrole à 74$US pour 2009-2010. Présentement, il se négocie sous la barre des 40$US. Même en admettant que l'Alberta est favorisée par la dépréciation du huard qui s'échange contre 80 cents US alors que la province avait projeté 96 cents, elle demeure perdante au change. Au bout du compte, si les chiffres d'aujourd'hui se maintenaient durant tout l'exercice, c'est 211 millions de manque à gagner qui guette la province des cheikhs aux yeux bleus.

Ça peut sembler peu. C'est qu'on oublie que l'Alberta exporte surtout du gaz naturel. M. Kavcic a calculé que la sensibilité des revenus de la province à la baisse du prix du gaz naturel peut la priver de recettes de 1,6 milliard.

«Toutes choses étant égales par ailleurs, si les estimés de sensibilité s'avéraient, ils pourraient priver les coffres de la province de 5 milliards», écrit M. Kavcic dans une étude parue hier. Edmonton planchait sur un surplus de 362 millions.

Ce calcul ignore en outre que les activités de forage ont beaucoup ralenti tandis que les chantiers de construction résidentielle se raréfient. Cela ne tient pas compte non plus des déficits de ses régimes de retraite qui subissent là comme ailleurs le double impact de rendements désastreux qui rapetissent leur actif et de la baisse des taux d'intérêt à long terme qui gonflent leur passif... et celui de la province.

Bien sûr, l'Alberta n'aura pas à emprunter. Elle pourra puiser dans son Fonds du patrimoine.

Seule la Saskatchewan dispose aussi d'un trésor de guerre semblable. Regina a en outre la chance de tirer une partie de ses revenus de la potasse dont le prix est beaucoup plus élevé aujourd'hui que ce qu'elle avait projeté. La province aux cieux infinis est d'ailleurs la seule dont l'économie progressera cette année, selon la plupart des économistes. Un budget équilibré n'est pas assuré pour autant parce qu'elle a annoncé des dépenses accrues de 500 millions pour stimuler la croissance. C'est énorme dans une province d'à peine un million d'habitants.

Tandis que les recettes fiscales sont à la baisse un peu partout, quelques provinces ont en plus choisi d'ouvrir les vannes pour relancer leur économie. L'Ontario s'est engagée à injecter un dollar pour chaque dollar dépensé par Ottawa dans son plan de relance 39,9 milliards sur deux ans. La province file vers un déficit de 5,5 milliards, son premier en six ans.

La Colombie-Britannique a annoncé des dépenses extraordinaires de 2 milliards, ce qui mènera ses finances publiques dans le rouge.

L'abandon des surplus délibéré comme ce sera peut-être le cas en Saskatchewan, ou forcé, comme c'est le cas au Québec, met en perspective la relativité des lois provinciales pour assurer l'équilibre budgétaire. La plus rigide d'entre elles, celle de la Colombie-Britannique, a d'ailleurs été amendée la semaine dernière.

Le retour aux déficits est sans doute justifié. On ne relance pas une économie en récession en sabrant dans les dépenses pour compenser des recettes fiscales amaigries.

L'engagement de les éliminer le plus vite possible doit faire partie des engagements des gouvernements, plaide Glen Hodgson, premier vice-président et économiste en chef du Conference Board du Canada. Compter sur la croissance future pour les faire disparaître est une stratégie dangereuse, souligne-t-il, comme l'ont montré nos deux décennies de déficits répétés dans les années 80 et 90. «Travailler à l'élimination du déficit doit commencer dès que l'économie revient à un niveau de croissance de 3% ou plus. Inévitablement, il faudra faire des choix difficiles entre la réduction des dépenses reliées aux plans de relance actuels, élargir l'assiette fiscale, ou combiner les deux.»