Un document de travail préparé par des professionnels de la Caisse de dépôt et placement démontre que, malgré la très mauvaise année 2008, les résultats de l'ère Rousseau sont meilleurs que ceux de l'administration précédente, dirigée par Jean-Claude Scraire.

Cette analyse non officielle, que La Presse a obtenue, compare les six années sous la direction d'Henri-Paul Rousseau à celles de Jean-Claude Scraire. Elle indique dans quelle mesure l'institution a fait mieux ou moins bien que la moyenne des indices du marché pour chacune des deux périodes.

 

Les indices du marché, comme celui de la Bourse de Toronto, appelé TSX, sont composés des principaux titres financiers d'un secteur. Pour juger de la qualité des gestionnaires, il est usuel de comparer leurs résultats à ces indices.

En 2008, indique le document «strictement confidentiel», les placements de la Caisse ont été dévalués de 38 milliards de dollars, ou 26%. Il s'agirait des pires résultats de l'histoire de l'institution, ainsi que l'a rapporté La Presse la semaine dernière. Les chiffres de la Caisse seront officiellement publiés à la fin février, après avoir été passés en revue par le vérificateur général.

Selon le document, la Caisse de dépôt a fait beaucoup moins bien que les indices auxquels elle se compare en 2008. Plus précisément, la perte de 38 milliards correspond à un écart négatif de 7 milliards de dollars par rapport aux indices de référence. Ces indices servent de base de comparaison parce que leur composition est objective, c'est-à-dire nullement influencée par des décisions humaines.

Pour toute la période Rousseau, soit entre 2002 et 2008, cet écart défavorable à la Caisse par rapport aux indices est ramené à 1,1 milliard, selon l'analyse. Les résultats désastreux de 2008 sont en partie compensés par les bons résultats des cinq années précédentes, indique le document.

La période Scraire

Le prédécesseur de M. Rousseau, Jean-Claude Scraire, a passé environ sept ans à la tête de la Caisse, entre 1995 et 2002. Il était épaulé par Michel Nadeau. Pour ce tandem, le document de travail commence son analyse en 1997. C'est à partir de ce moment que la Caisse a pu investir jusqu'à 70% de son actif sur le marché boursier.

Entre 1997 et 2002 donc, la Caisse a eu des résultats inférieurs aux indices de référence par 1,5 milliard de dollars, selon le document.

En somme, le tandem Rousseau-Guay aurait eu de meilleurs résultats que celui de Scraire-Nadeau sur une longue période. Essentiellement, l'ère Rousseau a été minée par les investissements dans le papier commercial tandis que celle de Jean-Claude Scraire a été ternie par l'investissement dans Vidéotron, une décision en partie motivée par la volonté de garder cette entreprise entre des mains québécoises.

Fait à souligner, le mandat de la Caisse a changé avec l'arrivée de Henri-Paul Rousseau, étant davantage axé sur le rendement et moins sur le développement économique du Québec.

Par ailleurs, il faut préciser que l'analyse adopte une prémisse importante. Pour l'année 2008, les analystes ferment les yeux sur les coûts de la couverture de change, estimée à cinq milliards de dollars. Le document justifie l'exclusion de cette charge par le fait que «les indices de référence sont ajustés pour en tenir compte». N'eût été cette exclusion, la période Rousseau aurait probablement eu un écart défavorable par rapport au marché plus important que 1,1 milliard sur six ans.

Le porte-parole de la Caisse, Maxime Chagnon, nie qu'un tel document ait été produit à la Caisse. Et comme toujours, il ne commente pas les chiffres de La Presse, non officiels. Pourtant, la comparaison a bel et bien été faite, bien qu'on ignore à la demande de qui.

Dans le marché, les professionnels du placement estiment que la méthode utilisée dans le document est appropriée. «La comparaison avec les indices est la bonne façon de faire, en autant que la composition des indices soit semblable au portefeuille», nous explique Alain Chung, un gestionnaire d'expérience de la firme Claret, à qui nous n'avons pas mentionné le nom de la Caisse.

Des questions sur les primes

Par contre, les résultats de l'analyse soulèvent de sérieuses questions sur l'efficacité des patrons de la Caisse, tant pour la première administration que la seconde.

En effet, pour les déposants, il aurait été préférable depuis 12 ans de placer leur argent dans les indices de référence, autant que faire se peut, plutôt que de laisser la Caisse en faire une gestion active. Acheter un indice, comme le TSX de Toronto ou le S&P 500 de New York, coûte très peu en frais de gestion puisqu'aucun gestionnaire n'en influence la composition.

Qui plus est, Alain Chung s'interroge sur la pertinence de verser des primes aux gestionnaires s'ils font moins bien que les indices. En effet, les bonis sont justement accordés pour récompenser les décisions de placement judicieuses des gestionnaires.

Au cours des dernières années, les dirigeants de la Caisse ont encaissé de généreuses primes, en liens avec les rendements alors obtenus. Par exemple, Henri-Paul Rousseau a empoché 1,1 million de dollars à chacune des deux dernières années, en plus de son salaire de base (490 000$). Pour Richard Guay, la prime s'est élevée à 596 250$ en 2007 et 675 500$ en 2006, en plus du salaire de base (375 000$).

«Les bonis devraient rester dans une cagnotte durant 5 ou 10 ans et varier selon les rendements. De cette façon, les gestionnaires agiraient plus prudemment pour toucher éventuellement leurs primes», dit essentiellement M. Chung.

Autre question fondamentale, qui ne manquera pas d'être posée dans le débat à venir: si la Caisse ne réussit pas à battre le marché, elle dont c'est le principal objectif, à quoi sert-elle?