Bell Canada a dévoilé ce matin ses résultats du quatrième trimestre 2008. À cette occasion La Presse Affaires a réalisé une entrevue avec le grand patron de la compagnie; George Cope est arrivé à la tête de BCE (t.bce) en juillet dernier, quelques mois avant l'avortement du rachat de l'entreprise par Teachers' pour 52 milliards de dollars. Voici un condensé de notre entrevue.

La Presse Affaires : En quoi le fait de demeurer en Bourse change-t-il la façon d'opérer de BCE, comparativement à ce que vous auriez pu faire en tant que société fermée?

George Cope : La différence fondamentale, c'est qu'on publie nos états financiers, ce qui permet à nos compétiteurs de savoir comment on s'en tire.

Du côté de la pratique des affaires, on a élaboré cinq stratégies quand on se dirigeait vers une fermeture du capital, et c'est exactement ce qu'on va appliquer en demeurant coté en Bourse. Ce qu'on va faire, c'est d'accélérer un peu nos dépenses en capital. On va appliquer notre programme de fibre (optique) jusqu'au voisinage à 5 millions de foyers d'ici 2012, plus que ce qu'on aurait fait.

LPA : Cela fait environ 20 mois que la transaction avec Teachers' a été acceptée, pour ensuite avorter. Que diriez-vous à vos actionnaires qui sont encore là aujourd'hui, eux qui ont vécu toutes sortes d'émotions?

G.C. : Nous avons évidemment été déçus de voir la transaction échouer. Mais en voyant aujourd'hui une croissance de 3% du BAIIA, et une hausse du dividende (de 5%), cela dit vraiment à nos actionnaires qu'on est concentrés à générer de la valeur pour eux à long terme, en appliquant notre plan d'affaires, ce qui permettra on l'espère de bâtir un modèle de croissance du dividende.

LPA : En regardant l'état du marché du crédit aujourd'hui, diriez-vous que l'échec du rachat de BCE est une bonne chose?

G.C. : Je dirais que nos actionnaires s'attendaient à une clôture de la transaction, et on a été déçus comme eux. C'est la partie décevante. Mais nous sommes dans une économie différente de celle qui prévalait à l'époque.

Dans le contexte actuel, en étant une société ouverte, on a une flexibilité maximale, on a 3 milliards de liquidités, et l'assurance que Bell puisse s'autofinancer, augmenter le dividende et faire des investissements massifs dans le sans-fil et la fibre optique. La bonne structure pour nous, dans l'avenir, c'est de rester une société ouverte.

LPA : Vous dites donc que c'est une bonne chose pour la santé même de l'entreprise, de ne pas être handicapée par une dette gigantesque?

G.C. : Je veux être prudent, la formulation est très importante. Comme je le disais, nous avons été déçus, comme nos actionnaires, de ne pas voir la transaction clôturer. Mais ce chapitre est maintenant fermé et en tant que société ouverte, nous avons une stratégie qui va récompenser nos actionnaires. C'est à nous de bien l'exécuter.

LPA : À quoi ressemblera 2009 pour BCE?

G.C. : On a fait du travail sur plusieurs fronts. L'un d'eux, c'est de réduire nos dépenses, ce qui va nous aider en 2009. Nous allons aussi investir massivement dans le service. Ce qui est très difficile à prévoir, c'est l'impact de l'économie actuelle sur les entreprises comme Bell. Les gens utilisent nos produits tous les jours, et la question est de savoir s'ils les utiliseront moins, ou pas. C'est pourquoi nous avons présenté aujourd'hui des prévisions de revenus et un BAIIA (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement) stables pour 2009, plutôt qu'en croissance.

LPA : Vous avez réduit de beaucoup le recours à des firmes de conseil externes. Vous avez même dit ce matin que si on ne savait pas comment diriger une entreprise de téléphonie après 100 ans, mieux valait changer l'équipe de direction. Pouvez-vous élaborer là-dessus?

G.C. : Un des changements culturels de notre entreprise, c'est de s'assurer que notre équipe de direction s'approprie les résultats, plutôt que de les externaliser en faisant venir des conseillers externes qui lui disent comment opérer. Si on a besoin de faire ça, ce que ça tend à faire, culturellement, c'est de se déresponsabiliser des résultats. Nous devons savoir comment diriger la compagnie par nous-mêmes, et c'est pourquoi on a réduit énormément le recours à des firmes de conseil externes depuis quelques temps.

LPA : C'est donc une nouvelle ère de «responsabilisation» qui s'ouvre chez BCE, en quelque sorte.

G.C. : Ça a vraiment débuté en juillet quand on a annoncé une rémunération plus liée à la performance, aux résultats, pour l'équipe de direction. Le salaire de base n'a pas changé au cours des dernières années, mais les incitatifs à la performance se sont multipliés.

LPA : Comment entrevoyez l'année 2010, qui verra naître de nouveaux concurrents agressifs dans le sans-fil au Québec et en Ontario?

G.C. : Nous avons discuté aujourd'hui de nos investissements dans Solo et Virgin Mobile, deux marques qu'on va utiliser dans certains segments de marché. Nous allons essayer d'être prêts, nous aurons une nouvelle technologie en 2010, plus de magasins. Les consommateurs auront plus de choix, et ce sera à nous chez Bell Mobilité de mériter leur loyauté. Je suis heureux de nos résultats dans le sans-fil, on a fait de véritables progrès depuis deux ans. Ce sera à nous de rester sur cette lancée.

LPA : Mais la guerre s'annonce rude. On voit déjà le revenu mensuel moyen par abonné décliner depuis quelques trimestres.

G.C. : Le marché est déjà plus compétitif, avant même l'arrivée des nouveaux entrants, à cause des marques que nos compétiteurs et nous avons, comme Solo. Le marché est plus compétitif, et tout le monde y gagne dans l'industrie avec la hausse du taux de pénétration, et les consommateurs aussi puisqu'ils ont plus de choix.

LPA : Michael Sabia a été le grand patron de BCE pendant des années. Comment jugez-vous son travail?

G.C. : Michael m'a embauché, nous sommes évidemment liés. Je vais essayer d'amener la société plus loin. Si on regarde ce qu'il a fait, en se débarrassant des filiales qui n'étaient pas au c¦ur des activités, quand il m'a passé le flambeau, il m'a remis une société qui était prête à se concentrer sur Bell, et c'est là mon travail.

LPA : Mais vous avez remplacé la majeure partie de l'équipe de direction. Ce geste ne parle-t-il pas par lui-même?

G.C. : Les changements dans notre structure de coûts reflètent clairement ce que je juge nécessaire pour aller de l'avant, et ils mettent en relief la nouvelle stratégie de l'entreprise. La stratégie que Michael a élaborée a été de ramener Bell à se concentrer à être Bell, il m'a remis ça et je me concentre maintenant à exécuter la stratégie de Bell.

LPA : Les rumeurs d'une acquisition par Telus ou d'une fusion n'ont jamais complètement cessé. Cela vous semble-t-il réaliste ou désirable?

G.C. : Nous sommes concentrés à générer de la valeur pour nos actionnaires selon cinq impératifs stratégiques, et c'est ce que nous allons faire. Je ne commenterai pas là-dessus.

LPA : Plusieurs dirigeants de Bell ne vivent pas à Montréal, ce qui fait dire à plusieurs que l'entreprise n'est plus vraiment montréalaise. Que répondez-vous à cela?

G.C. : Je suis en désaccord. Il n'y a aucun doute d'où je suis : c'est un grand pays et j'habite à Toronto, où on a beaucoup de clients. Le siège social est à Montréal, j'y vais souvent, notre chef des finances vit là, nos services légaux y sont aussi (...). L'histoire de BCE et de Bell est là.

LPA : Avez-vous une maison ou un pied à terre à Montréal?

G.C. : J'y suis très souvent, je fais des allers-retours incessants. Mais non. J'ai des adolescents, qui vivent à Toronto avec ma femme.

LPA : Bell a perdu un très gros contrat auprès du gouvernement du Québec au profit de Telus. Comment expliquez-vous cela, et que cela représente-t-il pour l'entreprise?

G.C. : Le gouvernement québécois est un important client de Bell et continue de l'être, même si on a perdu une partie du compte aux mains de Telus. Nous sommes déçus, mais c'est la compétition et nous allons travailler très fort pour nous assurer de conserver les contrats que nous avons encore avec le gouvernement.

LPA : Nous recevons beaucoup de plaintes de clients frustrés du service à la clientèle de Bell à La Presse Affaires, et même parmi notre famille et nos amis, les cas sont nombreux. Qu'allez-vous faire pour régler le problème?

G.C. : La chose la plus importante pour notre marque est le service à la clientèle que nous fournissons. Aussi, depuis que je suis devenu PDG en juillet, nous avons annoncé en septembre un tout nouveau service. Nous faisons maintenant les réparations le jour même ou le lendemain dans 95% à 96% des cas, pour tous nos produits. C'est nouveau pour nous. Nous faisons les installations le lendemain, ou si vous ne voulez pas payer les frais de 59$, elles sont gratuites deux jours plus tard tandis que ça prenait huit jours auparavant. Nous avons aussi amélioré les centres d'appel. Je pense que les gens, un à un, vont réaliser ce qu'on fait. Ça prend du temps, nous sommes une grosse société, et ça prend du temps. Nous ne faisons que commencer.

LPA : Et vous avez rapatrié des services qui étaient faits depuis l'Inde?

G.C. : Oui, environ 1 million d'appels reviennent en Amérique du Nord. Une partie sera gérée à l'interne chez Bell.

LPA : En terminant, parlez-vous français?

G.C. : Non... un tout petit peu. On a tous nos défis et cela en est un pour moi.

Pour plus d'informations, la présentation faite ce matin par George Cope ce matin à Toronto :

Revue des activités : Bell va de l'avant