C'est pire qu'après l'éclatement de la bulle techno, pire aussi que pendant les récessions des années 80 et 90. Le gouvernement du Québec est en voie de connaître la plus importante chute de revenus tirés de l'impôt des entreprises depuis au moins 1976.

Les plus récents chiffres du ministère des Finances montrent que d'avril à novembre 2008, Québec a récolté 19,3% moins d'impôt des entreprises que pour la même période l'année précédente.Une bien mauvaise nouvelle aux yeux de Benoit Durocher, économiste au Mouvement Desjardins. «Ça veut dire que les entreprises sont touchées de plein fouet par la situation difficile des marchés financiers, dit M. Durocher. Et ça démontre à quel point le gouvernement n'échappe pas à la récession et à la détérioration des conditions économiques.»

M. Durocher souligne que les chiffres sont inquiétants parce que cette baisse de 19,3% englobe les chiffres du printemps et du début de l'été, alors que l'économie n'avait pas encore déraillé.

C'est donc dire que le portrait actuel est probablement encore pire que ce qu'indiquent les chiffres.

S'il peut être trompeur d'examiner les données sur une période d'un seul mois à cause de la volatilité, on note toutefois que les mois d'octobre et novembre ont connu de très fortes baisses, respectivement de 46% et 67%.

Même si elle ne couvre que huit mois de l'année, la baisse de 19,3% est déjà plus importante que celles connues après l'éclatement de la bulle techno (chute de -6,5% entre 2001 et 2002) et au cours des deux dernières récessions. Entre 1990 et 1991, le gouvernement du Québec avait vu les revenus tirés des impôts sur les sociétés diminuer de 15,5%; au tout début des années 1980, ils avaient chuté de 11,1%.

En fait, l'année 2008 présente pour l'instant la pire baisse depuis 1976, dernière année où le ministère des Finances du Québec a pu nous fournir des statistiques, hier.

Les optimistes pourront dire que l'exercice financier ne se termine qu'au mois de mars et qu'il est trop tôt pour annoncer de tristes records. Mais Benoît Durocher, du Mouvement Desjardins, croit qu'on peut déjà faire ce sombre pronostic sans trop se tromper.

«On peut supposer que ça ne va pas s'améliorer cette année, dit M. Durocher. Les conditions se sont détériorées davantage à partir de l'été dernier. Plus on avance dans le temps, plus les mauvais résultats (des entreprises) vont rentrer et vont affecter les chiffres.»

«Ça va sûrement finir avec une baisse supérieure à 20%, ce qui serait une chute beaucoup plus prononcée que pendant la récession du début des années 90", dit M. Durocher.

Techniquement, une baisse des revenus d'impôt peut s'expliquer de deux façons. Ou bien les entreprises versent moins d'argent parce que les gouvernements lui en demandent moins, ou bien elles en versent moins parce qu'elles font moins de profits. Stéphane Leblanc, fiscaliste associé chez Ernst&Young, note que le taux d'imposition des entreprises au provincial est en légère augmentation au Québec, ayant passé de 9,9% en 2006 à 11,9% en 2009. Cette augmentation est par contre contrebalancée par l'élimination graduelle de la taxe sur le capital.

Hier, tant au ministère des Finances que chez les spécialistes, on avait bien du mal à évaluer quantitativement quel pourcentage des baisses pourrait être attribuable aux modifications fiscales.

«Il y a un ensemble de facteurs», dit Catherine Poulin, attachée de presse de la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, qui admet cependant que le ralentissement économique pèse probablement lourd dans la balance.

«On doit maintenant vivre avec ça, a-t-elle dit à propos de la baisse de revenus tirés de l'impôt des sociétés. Et c'est pour ça qu'on a mis en place des mesures pour stimuler l'économie et l'emploi.»

Rappelons qu'après avoir promis en campagne électorale que les finances du Québec «demeureront équilibrées cette année et l'an prochain» malgré le ralentissement économique, le gouvernement Charest s'est ravisé il y a deux semaines en ouvrant la porte à un éventuel déficit.

Le budget fédéral dévoilé la semaine dernière prévoit également d'importantes baisses de revenus tirés des impôts des entreprises, qui devraient atteindre 21,9% l'an prochain et près de 17% l'année suivante.