La population du Saguenay-Lac-Saint-Jean retient son souffle après l'annonce d'une importante réduction de la production de Rio Tinto Alcan (RTP), hier, qui entraînera aussi la fermeture d'une usine à Beauharnois. Car les mauvaises nouvelles ne font que commencer, craint-on ici.

La population du Saguenay-Lac-Saint-Jean retient son souffle après l'annonce d'une importante réduction de la production de Rio Tinto Alcan [[|ticker sym='RTP'|]], hier, qui entraînera aussi la fermeture d'une usine à Beauharnois. Car les mauvaises nouvelles ne font que commencer, craint-on ici.

«Il n'y a rien qui nous dit que ça va arrêter là: il y a une inquiétude entière, ça peut être pire», a lancé le maire de Saguenay, Jean Tremblay, rencontré à son bureau par La Presse Affaires.

RTA réduira temporairement de 25%, ou 400 000 tonnes, la capacité de production de l'usine d'alumine de Vaudreuil, près de Chicoutimi. La mesure touchera 40 employés. Au total, l'entreprise abolira 1100 postes dans le monde dans cette phase de restructuration, dont 220 à Beauharnois.

Cette vague de compressions inquiète tout particulièrement au SaguenayLac-Saint-Jean, où RTA emploie 6000 personnes dans ses sept usines et autres installations. Déjà, le géant de l'aluminium a mis le frein à des investissements de 2,1 milliards prévus dans la région, causant des centaines de mises à pied chez ses sous-traitants.

RTA a en outre demandé à toutes ses usines de réévaluer leurs structures de coût, ce qui fait craindre d'autres coupes.

Jean Simon, président de la division métal primaire, Amérique du Nord, a refusé hier de préciser le montant global des réductions de coûts exigées... sans nier qu'elles sont importantes. «Ça se chiffre en dizaines de millions par établissement», a-t-il indiqué pendant une conférence de presse tenue au Manoir Alcan, à Arvida.

RTA plaide la baisse de la demande mondiale d'aluminium conséquence directe de la crise économique pour justifier cette vaste restructuration. En décembre, la maison mère Rio Tinto avait indiqué son intention d'abolir 14 000 postes dans le monde.

Il faut dire que les cours de l'or gris ont chuté en vrille depuis le sommet de juillet dernier. Ils ont glissé de 3341$US la tonne à 1400$ hier sur le London Metal Exchange.

Même s'ils comprennent cette conjoncture difficile, les syndiqués de RTA du Saguenay ne décolèrent pas. Ils rappellent que l'entreprise bénéficie d'importants avantages hydroélectriques, qui lui permettraient de produire de l'aluminium à environ 1000$US la tonne dans la région (une information que RTA refuse de confirmer).

Alain Gagnon, président du Syndicat national des employés de l'aluminium d'Arvida, accuse même RTA d'avoir fait concorder son annonce d'hier avec l'assermentation du nouveau président américain. «Rio Tinto tente de noyer le poisson: Obama va être dans les sept, huit premières pages de tous les journaux demain!» a-t-il lancé pendant une conférence de presse survoltée tenue à Jonquière.

Entente secrète

Les syndiqués ne digèrent surtout pas une entente dite "secrète" intervenue entre Alcan et le gouvernement du Québec en 2006.

Selon ce document, l'entreprise peut fermer certaines usines au Québec avant les échéances établies précédemment, en citant une "clause catastrophe" de dégradation des marchés. Et ce, malgré les avantages financiers consentis par la province en 2006, notamment un prêt sans intérêts de 400 millions de dollars visant à développer la technologie d'électrolyse AP-50 au Saguenay.

Or, le chantier de l'AP50, évalué à 600 millions, tourne au ralenti depuis un mois, ce qui causé jusqu'à maintenant environ 400 pertes d'emplois chez les sous-traitants de la région. La phase 2 de l'aluminerie d'Alma, un projet de 1,5 milliard, est quant à elle sur la glace jusqu'à nouvel ordre.

La firme d'ingénierie saguenéenne Cegertec a dû licencier 75 employés il y a deux semaines en raison des déboires de RTA. Ce qui a amené son président, Jeannot Harvey, à faire toute une montée de lait en entrevue au Quotidien. Il a dénoncé le rachat d'Alcan par Rio Tinto, qui est venu selon lui enlever toute flexibilité à l'entreprise en l'alourdissant d'une imposante dette de 39 milliards.

Le maire Jean Tremblay confirme le désarroi des sous-traitants. «Tous les équipementiers à qui je parle sont au ralenti. Il n'y a plus de projets, on n'engage plus, on diminue nos dépenses, la tempête s'en vient... On n'a encore rien vu.»

Raymond Bachand, ministre du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, a tenté de calmer le jeu pendant un entretien téléphonique avec La Presse Affaires. Sans donner de détails sur l'entente secrète intervenue avec Alcan, il a affirmé que l'entreprise la respectait à la lettre. «Et nous, comme gouvernement, on les suit à la trace.»

Le ministre a comparé le chantier de l'AP-50 à celui de la gamme d'avions CSeries, de Bombardier [[|ticker sym='T.BBD.B'|]], qui a redémarré récemment après une période dormante.

Les leaders syndicaux se sont dits extrêmement insatisfaits d'une rencontre tenue avant-hier avec le ministre Bachand. Ils comptent utiliser divers moyens pour se faire entendre, en accord avec leurs membres, au cours des prochaines semaines.