Windsor et Detroit ont poussé un soupir de soulagement en décembre quand les milliards publics sont venus empêcher l'industrie automobile de couler à pic. Mais personne n'est dupe: le chemin de croix est loin d'être terminé... Nous publions la seconde partie de notre dossier sur les deux capitales nord-américaines de l'auto.

Windsor et Detroit ont poussé un soupir de soulagement en décembre quand les milliards publics sont venus empêcher l'industrie automobile de couler à pic. Mais personne n'est dupe: le chemin de croix est loin d'être terminé... Nous publions la seconde partie de notre dossier sur les deux capitales nord-américaines de l'auto.

Avenue Ouellette, à Windsor, en Ontario. Sur l'affiche de Peppers Bar&Grill, un gros piment rouge sourit, lunettes de soleil au visage.

Dessous, Karen Thibert a une moue nettement moins décontractée. Sans manteau malgré le mercure qui marque -6°, la femme de 38 ans pousse la porte, attrape un CV de la pile qu'elle porte sous le bras et le dépose au comptoir. Prochaine destination: le Tunnel Bar-B-Q. "Vous cherchez à temps plein ou à temps partiel?" demande la serveuse.

«Je cherche n'importe quoi», répond la jeune femme avec un sourire forcé. Ancienne employée de restaurant, Karen Thibert oscille depuis deux ans entre le chômage et les petits boulots qui ne durent pas. «Tout le monde coupe partout, déplore-t-elle. Regardez la rue: il y a plein de commerces fermés. Personne n'embauche.»

Vitrines vides

Jadis au coeur de la force industrielle du Canada, Windsor a aujourd'hui le plus haut taux de chômage au pays. Sur l'avenue Ouellette, la principale artère de l'agglomération, les vitrines vides ou placardées abondent.

«C'est sinistre, dit Trishia Gervais, qui travaille dans une bijouterie dont la vitrine a été défoncée en novembre. Avant, les gens venaient magasiner au centre-ville. Il y avait des boutiques de vêtements, de chaussures... Maintenant, il n'y a que des restos et des pubs.» Inutile de dire que ses chaînes en or 10 carats à 869$ ne s'envolent pas comme des petits pains chauds.

À Windsor comme à Detroit, qu'on aperçoit de l'autre côté de la rivière, on n'a pas passé l'automne à se demander quand la crise du crédit se transformerait en crise économique. La bulle financière a éclaté alors que l'économie tournait déjà au ralenti.

La capitale canadienne de l'automobile respire au rythme des Trois Grands de Detroit. General Motors [[|ticker sym='GM'|]], Ford [[|ticker sym='F'|]] et Chrysler se sont tous installés ici, entraînant dans leur sillage des dizaines d'autres entreprises. Mais ce n'est un secret pour personne: les constructeurs américains sont malades.

Leurs difficultés ont débuté bien avant la crise du crédit, quand la concurrence asiatique a commencé à gruger leurs parts de marché. Quand Wall Street s'est effondrée, à l'automne, les géants ont vacillé. Windsor a retenu son souffle. Et deux fois plutôt qu'une.

Le premier soupir de soulagement est venu le 19 décembre dernier, quand le président George Bush a débloqué 13,4 milliards de dollars pour empêcher GM et Chrysler de sombrer. Le lendemain, les gouvernements fédéral et ontarien ont consenti quatre milliards aux filiales canadiennes des Trois Grands.

Le maire de Windsor, Eddie Francis, avoue qu'il a eu chaud.

«Notre crainte, c'était de voir l'industrie automobile disparaître complètement de Windsor, dit-il. On avait peur que les États-Unis débloquent de l'aide, que le Canada ne suive pas et que les jobs partent de l'autre côté de la rivière.»

Le plan de sauvetage, avertit cependant le maire, ne marque pas la fin de l'histoire. «Personne ne devrait voir l'aide gouvernementale et penser: O.K., maintenant, on est sorti du bois. Cette décision voulait dire: on ne va pas tirer la plogue pour l'instant. Ça ne veut pas dire qu'on n'est plus sous respirateur artificiel. On est encore sous respirateur artificiel.»

Soulagement de courte durée

Le soulagement a d'ailleurs été de courte durée à Windsor. Parce que les plans de sauvetage n'étaient même pas encore confirmés que les constructeurs annonçaient une avalanche de fermetures temporaires.

Résultat: Windsor semble encore plongée en plein congé des Fêtes. L'usine de fourgonnettes de Chrysler est fermée jusqu'au 2 février. L'usine de transmissions de GM est paralysée jusqu'au 19 janvier. Ford a aussi mis son usine de pièces d'aluminium en hibernation, tandis que son usine de moteurs ne tourne que quatre jours sur sept.

La situation permet de mesurer à quel point la ville est dépendante des constructeurs de Detroit. Même dans les zones industrielles qui abritent des usines autres que celles des Trois Grands, les stationnements sont vides. Johnson Controls, TRW, Integram Seating, Dakkota, HBPO: la liste des entreprises qui se trouvent fermées par ricochet est longue. Selon des calculs faits par les syndicats, la situation touche actuellement quelque 9000 travailleurs.

Tony Fanara, qui travaille à l'usine Chrysler depuis 14 ans, espère qu'il ne s'agit là que d'une situation temporaire. «On espère tous retourner au travail le 2 février, mais on n'a aucune certitude. Alors on fait très attention. On ne va pas au restaurant, on ne fait pas de grosses dépenses.»

Le maire Francis, lui, juge que les 90 prochains jours seront critiques. Et il ne se montre pas particulièrement optimiste.

«Les compagnies doivent maintenant accoucher de plans pour assurer leur viabilité. Et à mon avis, ces plans vont arriver comme une surprise pour bien des gens.»

Une bonne ou une mauvaise surprise?

«Je n'ai pas d'information privilégiée ou quoi que ce soit, répond le maire. Mais ce qui est clair, c'est que ces compagnies doivent changer la façon dont elles font des affaires. Quand on est sous respirateur artificiel, c'est quelqu'un d'autre qui décide combien de temps on va rester branché à la machine. Pour survivre, il faut faire ce que demandent les gouvernements. L'industrie doit changer. Et personne ne sait de quoi elle aura l'air dans le futur.»