«Tout le monde était dans la même bulle de facilité et de non-productivité. Tout allait bien, le dollar était faible, et c'était normal qu'on en profite et qu'on investisse dans des choses qui n'étaient peut-être pas nécessaires, ou qui avaient un retour sur l'investissement moins exigeant. Aujourd'hui, on ne peut plus se permettre ça.»

«Tout le monde était dans la même bulle de facilité et de non-productivité. Tout allait bien, le dollar était faible, et c'était normal qu'on en profite et qu'on investisse dans des choses qui n'étaient peut-être pas nécessaires, ou qui avaient un retour sur l'investissement moins exigeant. Aujourd'hui, on ne peut plus se permettre ça.»

Celui qui parle n'est pas un gérant d'estrade qui fait la morale aux entrepreneurs québécois. C'est Alain Lemaire, président et chef de la direction de Cascades.

En voyant le dollar canadien atteindre la parité avec le dollar américain, jeudi, l'homme n'a pas sablé le champagne et on le comprend: chaque fois que le huard grimpe d'un cent, Cascades perd 6 millions de dollars.

Mais tout ce qui ne tue pas rend plus fort, dit-on, et M. Lemaire croit que, tout compte fait, un huard qui vaut un dollar US n'est peut-être pas une si mauvaise chose.

«Ça nous force la main, mais je pense qu'on va être une meilleure entreprise après avoir fait cet exercice-là.»

Cet «exercice-là», c'est la rationalisation qu'ont entamée Cascades et bien d'autres exportateurs canadiens depuis que le joyeux cocktail «hausse du dollar -arrivée de la concurrence étrangère- montée des prix des ressources» leur est tombé dessus.

Dans le cas de Cascades, ça a voulu dire se départir d'actifs moins performants, réduire la consommation d'énergie, former des employés plus productifs. Alain Lemaire avoue aujourd'hui qu'il avait un «objectif personnel et non avoué publiquement» derrière la tête: être rentable avec un dollar au pair.

À 10h 58, jeudi, ce voeu pieux s'est soudainement transformé en nécessité.

«Disons que c'est arrivé un peu plus vite que je l'aurais voulu. Il va falloir se relever les manches encore un tour de plus et travailler fort», dit M. Lemaire.

Considérant que le dollar était à moins de 62 cents US il y a moins de six ans, le PDG des Manufacturiers et Exportateurs du Québec, Jean-Luc Trahan, trouve aussi que la parité arrive rapidement. Et que, malheureusement, ce n'est pas tout le monde qui vole aussi vite que notre huard.

Les Libéraux provinciaux, par exemple, ont bien promis un répit aux entrepreneurs en abolissant la taxe sur le capital. Sauf que la mesure n'entrera en vigueur... qu'en 2011.

«2011, c'est loin», trouve aujourd'hui M. Trahan.

Les Manufacturiers et Exportateurs ont calculé que chaque augmentation de 1 cent amène un manquer de 1,5 milliard de dollars par année chez les manufacturiers du Canada, dont 400 millions au Québec.

Et ce, même en considérant les avantages que procure un dollar fort -parce qu'il y en a-, par exemple en augmentant le pouvoir d'achat de ceux qui importe des marchandises.

Des détaillants comme Reitman, qui achètent en dollars américains et vendent en dollars canadiens, profitent d'ailleurs de la situation.

Ce n'est pas le cas de l'industrie du tourisme du pays, qui a crié à l'aide, jeudi.

La crainte est double: voir les Canadiens profiter de leur dollar fort pour aller le dépenser aux États-Unis plutôt qu'au Canada, et voir les Américains rester chez eux.

Des craintes que sont venues justifier les dernières données de Statistique Canada: en juillet, le nombre de touristes américains en sol canadien a atteint son plus bas niveaux depuis 35 ans.

L'Association canadienne du tourisme a demandé hier 100 millions de dollars du fédéral pour son programme de publicité destiné aux touristes américains.

Une situation jugée «préoccupante» par Pierre Bellerose, vice-président à la recherche de Tourisme Montréal, qui apporte toutefois une nuance.

«Ce n'est pas tant le dollar canadien qui va bien que le dollar américain qui va mal», rappelle-t-il. Le même phénomène ne se produit pas avec l'euro, par exemple.

Conséquence: «Il y a bel et bien une baisse graduelle du marché américain depuis cinq ans. Mais elle est compensée, et même plus, par une augmentation du marché international.»