Lors de sa construction, l'hôtel Reine Elizabeth n'avait pas uniquement comme fonction d'accueillir l'élite économique du Québec.

Lors de sa construction, l'hôtel Reine Elizabeth n'avait pas uniquement comme fonction d'accueillir l'élite économique du Québec.

Il devait aussi combler un trou béant laissé par les voies ferrées de la gare Centrale.

Son avènement, combiné à l'ouverture de la Place Ville-Marie quelques années plus tard, marqua le déménagement définitif du centre-ville du Vieux-Montréal vers les lieux actuels.

Cinquante ans plus tard, le Reine Elizabeth, avec ses 1039 chambres, ce qui lui confère le titre du plus grand hôtel canadien à l'est de Toronto, demeure d'une importance capitale pour Montréal.

«Depuis son ouverture, il a toujours été le bateau amiral de l'industrie hôtelière montréalaise en raison de son emplacement exceptionnel et de ses grands espaces dévolus aux congrès», affirme Gilles Larivière, président de la division montréalaise Horwath HTL, importante firme de consultants en hôtellerie.

Ce grand hôtel a pourtant failli ne jamais voir le jour. Les premiers plans été tracés en 1911, mais son promoteur, Canadien Nord, a fait faillite.

Le projet est repris en 1929, avec l'ajout d'une gare souterraine et d'édifices à bureau. Les travaux débutent, mais la crise économique fait tout arrêter. Il subsiste alors un énorme trou au coeur de la métropole pendant des années.

«Il a fallu construire un pont sur René-Lévesque (anciennement Dorchester) pour enjamber cette excavation, que les Montréalais avaient en horreur», rappelle David Hanna, directeur des programmes d'études supérieures au département des études urbaines de l'UQAM.

Ce n'est qu'en 1938 que les travaux reprennent avec la construction de la gare Centrale, complétée en 1943.

Quant à la construction du «Queeny», elle ne commence que dans les années 50.

Ça représente alors tout un défi technique. Pour le soutenir au-dessus des voies ferrées de la gare Centrale et amortir les vibrations du passage des trains, le bâtiment de 21 étages en forme de "L" repose sur 160 piliers de béton.

À son ouverture, il est le deuxième plus grand hôtel du Commonwealth et devient l'un des premiers hôtels américains dotés d'escaliers roulants et d'une climatisation centrale.

Son promoteur est le Canadien National, une société d'État. Son président, Donald Gordon, Écossais d'origine au tempérament fougueux, choisit de le baptiser Le Reine Elizabeth, en l'honneur de la jeune reine qui vient d'accéder au trône en 1952.

Toutefois, cette décision est perçue comme une insulte par les francophones. Une pétition, qui recueille 250 000 signatures, réclame qu'on lui accole le nom de Château Maisonneuve, en l'honneur du fondateur de Montréal. En vain. Donald Gordon persiste et signe.

Si les francophones semblent avoir passé l'éponge sur cette vieille controverse, un autre aspect du Reine Elizabeth ne fait toujours pas l'unanimité: son style architectural, qui adopte le courant du fonctionnalisme.

Richard Payette, directeur général de cet hôtel de la chaîne Fairmount, en est parfaitement conscient. «Il existe deux écoles de pensée à ce sujet: certains ne trouvent aucune vertu architecturale à ce bâtiment, alors que d'autres apprécient son style épuré, symbole d'une époque», dit-il.

M. Payette invite les gens à visiter l'intérieur de l'hôtel. «C'est là où on est vraiment sexy», dit-il à la rigolade.

L'établissement vient d'ailleurs de subir une cure de rajeunissement de 40 M$ au début des années 2000.

Le plus remarquable, c'est le hall, aussi long qu'un terrain de football canadien. Autrefois sombre et austère, il est maintenant inondé de lumière, grâce à l'aménagement du salon de thé en façade.

Depuis son ouverture, le Reine Elizabeth accorde une importance continue aux oeuvres d'art et les dernières rénovations n'ont pas fait exception à la règle.

Dans les corridors, les chambres et les salles communes, on retrouve des oeuvres originales et des lithographies d'artistes renommés, la plupart originaires de Montréal.

«Il a fallu que je me batte avec les designers pour inclure des tableaux originaux dans notre décor, car il est davantage courant d'insérer des reproductions», raconte M. Payette en m'invitant à faire le tour du propriétaire.

Se balader dans cet hôtel permet de saisir une partie de ce qu'est l'art actuel québécois et canadien.

Si le Reine Elizabeth a conservé son prestige au fil des décennies, c'est aussi grâce au Beaver Club, l'une des meilleures tables à Montréal.

Il tire son nom d'un prestigieux club privé qui était situé autrefois sur Beaver Hall et qui regroupait les puissants marchands de fourrure.

À ce titre, son décor était encore constitué de vieux panaches jusqu'à tout récemment. Ils viennent d'être mis au rancart.

On ne peut évidemment parler du Reine Elizabeth sans glisser un mot sur les célébrités qui l'ont fréquenté.

Outre la reine d'Angleterre elle-même, Charles de Gaulle, Mikhaïl Gorbatchev, Nelson Mandela y ont séjourné.

Son épisode le plus célèbre: le bed-in de John Lennon et Yoko Ono, dans la suite 1742, afin de protester comme la guerre du Vietnam.

C'est dans cette chambre, en 1969, qu'ils enregistrèrent Give Peace A Chance, un hymne qui marqua une époque.