Un promoteur convaincant. Et des millions de dollars en jeu. Dans une série sur trois jours, La Presse brosse le tableau des projets du financier Luc Verville, qui attire la confiance des investisseurs malgré ses deux faillites personnelles.

Un promoteur convaincant. Et des millions de dollars en jeu. Dans une série sur trois jours, La Presse brosse le tableau des projets du financier Luc Verville, qui attire la confiance des investisseurs malgré ses deux faillites personnelles.

Après avoir mis l'accent sur l'entreprise Capazzo (lundi) et Gilles Latulippe (mardi), La Presse complète son dossier avec les problèmes des hommes d'affaires Placide Poulin et Hermann Cloutier.

Placide Poulin et ses deux partenaires doivent sûrement regretter cette rencontre du printemps 2000, au centre-ville de Montréal.

Ce jour-là, ils ont décidé d'investir un million de dollars dans un paradis fiscal des Antilles, mais l'investissement a viré à la catastrophe.

La fameuse rencontre a eu lieu à l'hôtel Le Germain, rue Mansfield, avec l'avocat fiscaliste Serge Racine.

L'homme d'affaires Placide Poulin, fondateur de Maax, y avait délégué son fils, David, de même que le chef des finances de Maax, Richard Garneau.

Les trois partenaires cherchaient à investir offshore pour minimiser leurs impôts, selon ce que prétend un courtier dans un document en Cour (note 1).

Cette première rencontre avec l'expert Serge Racine a débouché sur une deuxième, cette fois avec le financier Luc Verville.

Par la suite, les trois partenaires ont progressivement transféré un million de dollars à la Barbade dans la firme Crystal Ontrack Trust, représentée par le financier Luc Verville. L'argent devait être investi dans des PME appelées à s'inscrire éventuellement en Bourse.

Cette curieuse histoire se retrouve dans un dossier du palais de justice de Beauce. Il s'agit de la version racontée par le courtier Stéphane Rail, de Québec, qui a servi d'intermédiaire aux trois partenaires pour injecter des fonds dans les projets de Luc Verville.

À l'été 2003, informés des problèmes de Luc Verville, les trois partenaires ont entrepris des démarches pour s'enquérir de leur argent. Mais au fil des mois, un constat douloureux s'est imposé: jamais plus ils ne reverraient leur million de dollars.

En juin 2004, le clan Poulin a donc poursuivi au civil le courtier Stéphane Rail pour détournement de fonds. La poursuite a plus précisément été intentée par Plarida, la firme des trois partenaires. La plus récente défense de Stéphane Rail a été déposée en février 2007 (1).

Le conseiller financier travaillait pour TD Evergreen au moment de l'investissement, en 2000. Dans sa défense, Stéphane Rail affirme ne pas être responsable des pertes des trois partenaires ni de la déconfiture de Crystal Ontrack, qui a chaviré «pour des raisons obscures qu'il semble impossible de connaître».

Certes, il ne nie pas avoir servi d'intermédiaire, mais les trois partenaires sont des investisseurs aguerris, qui connaissaient les risques, fait-il valoir.

Selon sa version, qui n'a pas été prouvée en Cour, le clan Poulin a notamment investi avec Luc Verville et Crystal Ontrack «pour se soustraire aux obligations fiscales liées aux placements, soit le paiement d'impôts».

Qui plus est, Stéphane Rail affirme que les trois partenaires s'en prennent à lui parce qu'ils sont incapables «d'obtenir réparation de Crystal Ontrack et de Luc Verville () du fait que Crystal Ontrack n'a plus aucun actif au Canada et que Luc Verville est en faillite personnelle et apporte très peu de collaboration afin d'éclaircir la situation».

Dans leur poursuite, effectivement, les trois partenaires ne s'en prennent guère à Luc Verville. Ils ne visent pas davantage le fiscaliste Serge Racine, qui travaille dans les bureaux de la firme d'avocats Séguin Racine, de Laval.

Des fonds détournés?

La poursuite des partenaires cible plutôt Stéphane Rail et soutient qu'il est au centre d'un détournement de fonds. Leur argent n'a pas été canalisé vers Crystal Ontrack, de la Barbade, allèguent-ils.

Il a plutôt servi à rembourser directement un autre investisseur québécois mécontent de Luc Verville.

Leur poursuite donne des détails troublants. Elle avance des noms, des dates, des numéros de compte. L'autre investisseur mécontent s'appelle Hermann Cloutier.

Comme Placide Poulin, Hermann Cloutier est un homme d'affaires prospère de la Beauce qui a investi dans les projets offshore de Luc Verville par l'entremise de Stéphane Rail.

Seule différence: M. Cloutier n'a pas perdu un million de dollars dans cette affaire, mais plus de 3 millions, selon une autre poursuite.

Où est le détournement de fonds? C'est que Placide Poulin et ses partenaires ont appris que Hermann Cloutier faisait pression auprès de Stéphane Rail, en 2000, pour se faire rembourser une partie d'un prêt de 3 millions consenti à Luc Verville.

Le 18 septembre 2000, entre autres, Hermann Cloutier s'est donc vu rembourser 333 000$ par l'entremise Stéphane Rail, selon les documents en Cour (note 2).

Or, il s'agit précisément de la même somme que Placide Poulin et ses partenaires ont confiée à Stéphane Rail, ce jour-là, pour investissement à la Barbade.

Le chèque a été décaissé le 18 septembre. Qui plus est, à l'endos du chèque du clan Poulin a été ajouté le numéro de compte de la firme de Hermann Cloutier.

Les coïncidences troublantes ne s'arrêtent pas là. Placide Poulin et ses partenaires ont versé 334 000$ - la dernière tranche de leur investissement total d'un million - le 7 décembre 2000.

Or, encore une fois, Hermann Cloutier a encaissé une somme semblable au cours des jours suivants, soutient la poursuite, qui réclame le remboursement du million de dollars.

«Il existe des présomptions graves, précises et concordantes à l'effet que la somme d'un million de dollars versés par Plarida (NDLR: la firme du clan Poulin) n'a pas été investie tel que convenu, mais détournée à d'autres fins que celles exposées par Stéphane Rail», est-il écrit dans la poursuite, qui n'accuse aucunement Hermann Cloutier.

Les répliques

Nous avons joint Richard Garneau, l'un des trois membres du clan Poulin. L'homme d'affaires reconnaît avoir investi dans les projets de Luc Verville, dont Hastings Aviation. Il nie toutefois que cette forme d'investissement avait pour but d'éviter de payer de l'impôt.

Richard Garneau nie même tout lien entre la rencontre qu'il a eu avec Serge Racine, au centre-ville de Montréal, et l'investissement avec Luc Verville. Il n'a pas voulu faire plus de commentaires étant donné les poursuites devant les tribunaux.

Quant à l'avocat Serge Racine, il admet avoir rencontré deux des partenaires du clan Poulin, au printemps 2000, à Montréal. Le fiscaliste reconnaît également avoir assisté à une rencontre en Floride avec MM. Cloutier et Verville.

Cependant, il nie avoir prodigué quelque conseil que ce soit sur les paradis fiscaux. Il soutient même qu'il ne savait pas que MM. Poulin et Cloutier avaient investi dans des firmes de la Barbade.

«Mon mandat était de répondre à des questions précises relativement à des placements qu'ils faisaient chez Luc Verville au Canada pour une histoire de compagnie d'aviation (NDLR: Hastings Aviation)», dit-il.

Références

1- Défense du courtier Stéphane Rail contre la poursuite du clan Poulin (Plarida), février 2007, Cour supérieure, Beauce, 350-17-000 053-044.

2- Poursuite pendante de Hermann Cloutier contre Stéphane Rail et TD Evergreen, Cour supérieure, Québec, 200-05-016 533-023.

CE QU'EST L'ENTREPRISE MAAXPlacide Poulin est le fondateur de Maax, l'un des plus beaux succès du secteur manufacturier au Québec. L'entreprise fabrique des baignoires et des douches, entre autres.

En 2004, la firme a été vendue pour la somme de 640 millions de dollars, soit l'équivalent des ventes annuelles de l'entreprise.

La famille Poulin détenait 12,5% du capital-actions.

À l'époque, Maax était considérée comme le troisième fabricant d'équipements de salles de bains en Amérique du Nord, avec ses 3800 employés répartis dans 26 usines et centres de distribution.

Pour croître, l'entreprise fondée en 1969 a notamment eu recours aux mesures d'encouragement du gouvernement du Québec, notamment le Régime d'épargne-actions (REA).

Il s'agit d'un programme de déduction fiscale mis sur pied pour aider les entrepreneurs à recueillir des fonds sur le marché boursier.