Pour blanchir des fonds, les criminels doivent souvent utiliser des structures complexes, montées à l'aide d'avocats, de comptables ou de notaires. Or, ces derniers sont rarement la cible d'accusations des autorités.

Pour blanchir des fonds, les criminels doivent souvent utiliser des structures complexes, montées à l'aide d'avocats, de comptables ou de notaires. Or, ces derniers sont rarement la cible d'accusations des autorités.

Interrogés par La Presse Affaires, divers intervenants ont reconnu cette situation, hier, à la Conférence sur le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, à Montréal.

Généralement, convient-on, des membres du crime organisé peuvent être accusés de recyclage de produits de la criminalité. Mais ces accusations accompagnent souvent des activités criminelles plus courantes, comme le trafic de drogues ou le gangstérisme.

Très rares sont déposées des accusations directement liées au seul blanchiment d'argent et encore moins des accusations visant des avocats.

Brigitte Bishop, avocate substitut du procureur général du Québec, explique cette situation par le fait que la preuve est difficile à faire. «Il faut démontrer que le comptable ou l'avocat participait aux activités, qu'il avait la connaissance des manoeuvres et une intention criminelle, ce qui n'est pas évident», a essentiellement dit Mme Bishop.

Il faut dire aussi que la notion de blanchiment d'argent n'a été inscrite dans le Code criminel qu'à la fin des années 80, fait valoir Luc Landry, responsable des enquêtes sur la «criminalité financière organisée» à la Sûreté du Québec. «En matière de jurisprudence, c'est tout récent. C'est comme la petite enfance», a-t-il dit aux auditeurs de la Conférence.

Les fonds blanchis annuellement sont pourtant considérables. Quand les Hells Angels ont été décimés lors de l'opération policière printemps 2001, il a été démontré que le volume d'affaires de l'organisation s'élevait à environ un milliard de dollars par année, a dit Luc Landry, qui avait participé à l'opération.

À la SQ, l'escouade responsable du blanchiment a été créée en 1995. Avec le temps, la SQ a progressivement fait passer le nombre d'enquêteurs de la criminalité financière d'une dizaine en 1995 à une quarantaine aujourd'hui. Tôt ou tard, donc, les avocats de la Couronne soumettront des dossiers.

Le cas le plus connu, de loin, est celui l'ex-juge Robert Flahiff. Dans les années 90, Robert Flahiff a été reconnu coupable d'avoir blanchi 1,7 million de dollars provenant du trafic de stupéfiants du temps où il état avocat. L'argent avait été blanchi pour le compte d'un trafiquant d'envergure internationale, Paul Larue, son client.

«En matière de blanchiment d'argent provenant du trafic des stupéfiants, l'exemplarité et l'aspect dissuasif de la sentence doivent être privilégiés», avait déclaré le juge Serge Boisvert lors du prononcé de la sentence, en 1999.

La nouvelle loi C-25 sur le blanchiment d'argent changera peu de choses à l'immunité des avocats et des notaires. C'est que ces derniers sont exemptés des nouvelles normes en vigueur, notamment celles qui touchent l'identité des clients et la déclaration d'opérations douteuses. Leur secret professionnel continuera donc d'être pleinement reconnu.

Pour ce qui est des comptables, la loi C-25 les oblige à se conformer aux nouvelles normes lorsqu'ils exercent pour autrui un paiement, une réception ou un virement de fonds pour des valeurs mobilières ou immobilières.

Quoi qu'il en soit, l'application de la loi obligera les intervenants du milieu financier à changer leurs habitudes. Dans les institutions financières, par exemple, les responsables de «lignes d'affaires» sont parfois récalcitrants à fouiller davantage les opérations douteuses, explique Roland Montpetit, directeur de la sécurité, section lutte au blanchiment, de la Banque Nationale.

«Nous avons beaucoup d'argumentations, parce que ça freine évidemment le développement des affaires. Mais nous faisons valoir aux directeurs que l'absence de réponse de ces clients à certaines questions aujourd'hui peut avoir des conséquences plus tard», a dit M. Montpetit, qui fait écho aux préoccupations d'autres membres de l'industrie.

La collaboration de ces intervenants est par ailleurs essentielle, puisqu'à partir du 23 juin, la Loi C-25 rend les hauts dirigeants personnellement responsables de l'application des normes entourant le blanchiment d'argent.

À la Banque Nationale, environ 9000 transactions inhabituelles sont recensées chaque année et entre 600 et 700 transactions font l'objet d'une enquête.