Deux mois après son ouverture, on ne voit pas la fin du procès de Conrad Black.

Deux mois après son ouverture, on ne voit pas la fin du procès de Conrad Black.

Les procureurs du gouvernement américain viennent d'annoncer qu'ils ont besoin d'un autre mois pour finir de présenter leur preuve. Mais il n'est pas excessif de penser que le sort du magnat de la presse se joue véritablement la semaine prochaine.

Lundi après-midi, David Radler est attendu à la cour fédérale du district nord de l'Illinois, au centre-ville de Chicago. C'est l'ancien bras droit de Conrad Black, qui est accusé d'avoir pillé l'éditeur de journaux Hollinger International. Et c'est le témoin clé du gouvernement.

Les deux hommes étaient inséparables depuis près de 40 ans. Né à Montréal et diplômé de McGill, David Radler a rencontré Conrad Black pour la première fois au restaurant de son père, Au Lutin qui bouffe, rue Saint-Grégoire.

Leur première aventure remonte à 1969, lorsqu'ils ont acquis le Sherbrooke Record au prix de 20 000 $. C'est là qu'ils ont mis au point ce qui allait devenir leur modus operandi : couper l'effectif de la salle de rédaction en deux, dénicher une imprimerie moins coûteuse et contrôler les dépenses de façon serrée. La légende veut qu'ils rationnaient même les crayons et les rouleaux de papier de toilette.

Mais lorsque David Radler fera face à Conrad Black dans le box des témoins, dans la salle d'audience 1241, au 12e étage de l'édifice Everett McKinley Dirksen, un abîme les séparera.

Le très flamboyant Conrad Black, 62 ans, se défend bec et ongles de la quinzaine de chefs d'accusation qui pèsent contre lui : fraude, blanchiment d'argent, complot, évasion fiscale, entrave à la justice. Il risque plus de 100 ans de prison. En plus, il s'expose à payer des amendes de plusieurs dizaines de millions de dollars.

Lord Black de Crossharbour jure de rétablir sa réputation, même s'il doit y mettre le reste de ses jours. Et il promet de reconstruire son empire dévasté. «La justice prévaudra», a-t-il récemment écrit dans son ancien journal, le National Post.

Le très discret David Radler, 64 ans, a choisi d'affronter la tempête de front. Il a monnayé son témoignage contre Black en échange d'une sentence clémente. En plaidant coupable à une seule accusation de fraude, il s'en tire avec 29 mois de prison et une amende de 250 000 $US.

Le compte en banque de David Radler ne sera pas épargné pour autant. Au terme d'ententes à l'amiable, il a convenu de dédommager les autorités boursières américaines et Hollinger International, rebaptisé Sun-Times Media Group. Il versera 29 millions US à la SEC et 63 millions US au Sun-Times.

Mais, à défaut d'être libre, David Radler sera libéré à la fin du procès. Ce qui n'est pas le cas de Conrad Black, qui fera toujours face à une kyrielle de poursuites au civil.

Que dira David Radler? L'avocat qui mène la charge du gouvernement, Eric Sussman, a levé le voile sur son témoignage. L'homme d'affaires de Vancouver devrait expliquer que Conrad Black et lui ont délibérément utilisé le stratagème des frais de non-concurrence pour combler leurs revenus, qui s'étiolaient chaque fois que Hollinger International vendait des journaux.

En effet, le holding à capital fermé de Conrad Black et de David Radler (Ravelston) facturait des frais de gestion astronomiques à Hollinger International; ils ont atteint 40 millions US en une année.

Mais ce sont les frais de non-concurrence qui font vraiment sourciller. Il s'agit de sommes forfaitaires que les acquéreurs des journaux de Hollinger International réclamaient supposément à Hollinger International pour ne pas que ses dirigeants (Conrad Black, David Radler et compagnie) ne rentrent de nouveau en concurrence contre eux.

L'emploi de ces frais était douteux en partant. Surtout que certains acquéreurs de journaux, comme CanWest Global Communications, n'avaient même pas réclamé pareille clause. Mais c'était franchement louche lorsque des sociétés apparentées, contrôlées secrètement par Black et Radler, achetaient des journaux. Les deux associés se versaient donc des fonds pour ne pas entrer en concurrence contre eux-mêmes!

Ainsi, les dizaines de millions qui sont allés dans les poches des grands patrons étaient autant de millions qui auraient été dérobés aux actionnaires de Hollinger International.

Est-ce que ce sera suffisant pour faire condamner Conrad Black? Je ne parierais pas ma chemise là-dessus. Les avocats de Conrad Black et de ses trois coaccusés feront valoir, comme ils le laissent entendre depuis le début, que ces transactions étaient pilotées par David Radler et lui seul.

Ils auront beau jeu, aussi, de rappeler les témoignages des trois membres du comité de vérification du conseil de Hollinger International. L'économiste d'origine québécoise Marie-Josée Kravis, l'ancien gouverneur de l'Illinois James Thompson et le diplomate américain Richard Burt ont tous affirmé ces derniers jours qu'ils n'avaient pas été informés des frais de non-concurrence.

Mais les trois administrateurs ont eu du mal à se dépêtrer de leurs témoignages lorsque les avocats de Conrad Black leur ont souligné le fait que ces frais étaient documentés à 11 endroits différents dans des documents qu'ils ont signés ou qu'ils devaient avoir lus. «J'aurais dû tout lire», a admis James Thompson.

Bref, cela regarde bien mal quand les gardiens de la probité de l'entreprise dorment au gaz.

Une condamnation est d'autant plus incertaine que les présumées victimes de Conrad Black et compagnie, les actionnaires de Hollinger International, sont invisibles. Il n'y a pas de veuve éplorée, d'employé réduit au chômage ou de petit vieux qui a perdu son régime de retraite pour émouvoir les membres du jury. Juste des comptables et des vérificateurs qui démêlent froidement un enchevêtrement de transactions.

David Radler devra donc se montrer très, très persuasif. Surtout que la Cour n'a pas encore ratifié l'entente qui, après seulement quelques mois de prison pour bonne conduite, lui promet des jours meilleurs.