Perpétuer la fabrication d'un produit qui a une valeur patrimoniale tout en dégageant des bénéfices : voilà l'audacieux pari que tente de remporter depuis 10 ans Normand Goyette, propriétaire de la PME Les Chaloupes Verchères, en Montérégie.

Perpétuer la fabrication d'un produit qui a une valeur patrimoniale tout en dégageant des bénéfices : voilà l'audacieux pari que tente de remporter depuis 10 ans Normand Goyette, propriétaire de la PME Les Chaloupes Verchères, en Montérégie.

En 1997, M. Goyette rachetait le dernier atelier de fabrication de chaloupes Verchères. Du coup, il sauvait une partie du patrimoine québécois. La Verchères, comme certains la nomment, est une embarcation en bois qui faisait jadis la réputation de la municipalité du même nom.

Aujourd'hui, l'artisan tente de ramener ces chaloupes au goût du jour dans un marché largement dominé par la fibre de verre et l'aluminium.

Pour les néophytes, la chaloupe Verchères est une embarcation à fond plat, donc très stable, qui est notamment utilisée en eau peu profonde. Facile à ramer, on s'en servait surtout pour le transport de marchandises sur le fleuve.

Ce modèle de chaloupe est tellement vieux qu'on en retrouverait sous forme de hiéroglyphes dans les pyramides égyptiennes.

Depuis 1971

On fabrique ce type de chaloupes à Verchères depuis 1871. La municipalité située sur le bord du fleuve Saint-Laurent a déjà compté jusqu'à 10 ateliers au plus fort de la vague, entre 1940 et 1960, alors qu'il se vendait de la Verchères a mari usque ad mare. Mais depuis l'avènement de nouveaux matériaux, ce type de chaloupe a peu à peu sombré dans l'oubli.

Normand Goyette est donc l'héritier d'une tradition séculaire. Il se plaît à dire qu'il est le «leader mondial de la Verchères». Loin d'avoir gagné son pari, le fabricant de chaloupes sent néanmoins que le vent est en train de tourner. Surtout depuis qu'il a un site Web et que les baby-boomers s'intéressent à ses produits. «J'ai reçu un courriel d'un client potentiel qui habite au lac de Côme en Italie», dit-il.

De 12 chaloupes en 1997, M. Goyette en a fabriqué près de 100 l'année dernière. Il souhaite atteindre les 200 unités cette année. Il dit miser sur sa présence en Ontario, en mars prochain, au Cottage Show. «C'est grâce à mon site Web que les organisateurs m'ont trouvé. Ils s'occupent de tout et vont venir chercher eux-mêmes quelques modèles de chaloupes», explique l'artisan à la toison blanche.

Et pourquoi ne participe-t-il pas au Salon des chalets et des maisons de campagne de Montréal ? «Le gros de ma clientèle est composée d'anglophones (même au Québec !) qui préfèrent les objets plus traditionnels. Je ne suis même pas allé au Salon nautique de Montréal. On aurait ri de moi avec mes chaloupes en bois», explique Normand Goyette.

L'entreprise Les Chaloupes Verchères emploie quatre personnes, dont Lise Pigeon, la conjointe de M. Goyette. Son chiffre d'affaires demeure confidentiel. Sa capacité de production annuelle est de 300 embarcations. Celles-ci sont vendues entre 1000 $, pour un modèle de 12 pieds, et 3000 $, pour une chaloupe de 24 pieds. La PME écoule 75 % de sa production au Québec et 25 % en Ontario.

Les principaux clients du chaloupier sont la Sépaq, les pourvoiries, les camps de vacances et une poignée de propriétaires de chalets, dont certains plus célèbres que d'autres. «Il y a quatre ou cinq ans, Paul Desmarais (père) est venu luimême choisir ses chaloupes dans mon atelier. Depuis, il en commande quelques-unes tous les ans», raconte Normand Goyette.

Les chaloupes de la PME sont fabriquées en contreplaqué marin de sapin Douglas, le fameux «BC fir». On reconnaît une vraie Verchères à ses couleurs : vert, gris et rouge.

Dans une autre vie, Normand Goyette, issu d'une lignée de maîtres charpentiers, a travaillé près d'une trentaine d'années dans la restauration des bâtiments construits sous le régime français. Il a entre autres aidé à restaurer la résidence tricentenaire de l'ancien premier ministre Bernard Landry, lui-même citoyen de Verchères.

Créanciers peu réceptifsIl ne s'en plaint pas outre mesure, mais Normand Goyette admet avoir de la difficulté à financer son entreprise. À défaut de trouver une oreille attentive dans une institution financière, l'homme d'affaires a dû mettre sa maison en garantie. Il doit également utiliser sa marge de crédit et une poignée de cartes de crédit pour financer ses opérations.

«La banque, c'est moi», dit-il.

«Pour obtenir un prêt ou de l'aide d'une banque, il faut que je leur montre des chiffres. Mais mes chiffres ne font pas leur affaire. J'espère que ça va débloquer. J'espère que quelqu'un va reconnaître ce que je fais», explique M. Goyette.

Le plus ironique est qu'une photo de l'atelier de la PME Les Chaloupes Verchères figure dans le très joli calendrier d'une importante... banque.

«Ils m'ont offert une petite marge de crédit, mais pas plus que ça», laisse tomber le chaloupier.